Revue Qualité Construction N°205 - Juillet/Août 2024
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Les normes de sécurité incendie établies historiquement sur l’activité et la destination d’un bâtiment ne permettent plus de répondre à tous les défis : recours au bois en structure et en façades, massification de l’isolation thermique par l’extérieur, modes d’occupation innovants des bâtiments, énergies alternatives générant des risques incendie… Tous les acteurs du bâtiment sont concernés et bon nombre d’entre eux travaillent à l’adaptation de la sécurité et de la réglementation incendie.
Premiers intervenants sur un incendie – et les seuls à risquer leur vie –, les pompiers alertent inlassablement sur l’évolution des risques qu’ils constatent. Ils insistent sur la nécessaire adaptation de la réglementation qui devient obsolète au fur et à mesure de l’évolution des techniques constructives et des usages des bâtiments, mais aussi des véhicules (électriques, hybrides…). C’est en substance ce qu’a rappelé la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF), le 3 avril dernier, à l’occasion des « Premières assises nationales de la prévention des risques bâtimentaires », organisées à Paris sur la question de l’adaptation de la réglementation aux nouvelles énergies et aux nouveaux usages dans les bâtiments.
Qualité Construction donne la parole à des experts de divers horizons qui témoignent sur les risques incendie concernant les batteries et les parcs de stationnements, la construction bois et l’isolation paille. Les experts préventionnistes de la FNSPF vont plus loin : ils analysent également les risques liés aux nouveaux usages des bâtiments et pointent les difficultés inhérentes à une réglementation fragmentée en silo.
Le sujet du risque incendie de l’isolation des façades, objet d’un article spécifique de Qualité Construction(1), ne sera pas développé ici. Soulignons cependant à ce sujet que ni l’incendie de la tour Mermoz à Roubaix (59) en 2012, ni celui de la tour Grenfell à Londres en 2017 ne sont dus à des matériaux biosourcés, mais à des systèmes de parement et d’isolation synthétiques inflammables.
À quelles difficultés opérationnelles les pompiers sont-ils confrontés ? Quelle évolution des risques constatent-ils ? Nourrie par les retours d’expérience des interventions les plus importantes, l’inquiétude des préventionnistes des SDIS (Services départementaux d’incendie et de secours) ainsi que des sapeurs-pompiers de Paris et de Marseille(2) porte sur la sécurité opérationnelle des interventions et sur la qualité de la prévention des risques dans les bâtiments, avec pour objectifs prioritaires la sécurité des personnes, des biens et de l’environnement.
Le seul exemple relatif à un feu de parking souterrain permet de prendre conscience de la puissance destructrice des incendies de véhicules dans un milieu confiné, même en béton armé. « Avec le poids des batteries et la masse des véhicules qui augmente, mettre des installations de recharge des véhicules électriques dans des structures qui tiennent à peine en conditions normales complexifie les dangers en intervention », souligne le commandant Didier RÉMY, animateur pendant des années de la commission Prévention de la FNSPF.
Actuel co-animateur de la commission Prévention avec le lieutenant-colonel Franck MAILLARD, le colonel Stéphane CONTAL complète et cite quelques exemples : « Le développement massif du photovoltaïque veut aussi dire des batteries dans les habitations, avec de plus en plus de batteries de seconde vie de voitures électriques. La réglementation environnementale RE2020 qui pousse à l’usage du bois appelle aussi à la vigilance de notre part. L’isolation des façades par l’extérieur peut provoquer la propagation du feu par l’extérieur. Avec de plus en plus de plastiques à l’intérieur comme dans l’enveloppe de l’habitat et une meilleure étanchéité des bâtiments, la température des incendies dans des espaces de plus en plus confinés augmente beaucoup. »
Les pompiers constatent également des difficultés pour secourir des personnes vieillissantes, en surpoids, dans leurs logements de plus en plus inadaptés à leurs difficultés croissantes de mobilité. Face à ces évolutions, les pompiers animateurs de la commission Prévention de la FNSPF expriment leurs craintes clairement : « Nous sommes dans une logique d’adaptation à notre société. On ne veut pas dicter le matériau ou l’usage, on doit s’y adapter, accompagner les acteurs pour diminuer le risque », insiste le colonel Stéphane CONTAL. « L’évolution des modes constructifs et des modes d’exploitation fait la difficulté mais aussi l’intérêt du métier de préventionniste », ajoute pour sa part le lieutenant-colonel Pierre PRÉVOST.
(2)Les pompiers des SDIS, gérés par les départements, ont un statut civil. Les pompiers de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) et les marins-pompiers de Marseille relèvent du statut militaire.
Inflammation des batteries
Directeur technique du Crepim, laboratoire de recherches et d’essais feu – Material & Fire Test Expert –, Franck POUTCH résume les processus de l’inflammation des batteries : « La décharge est le phénomène normal dans une batterie, elle entraîne moins de risques que la recharge qui force la réaction chimique à “faire marche arrière”, ce qui peut causer la corrosion des collecteurs en cuivre et aluminium, la formation de dendrites à l’anode, etc. Ces causes sont à l’origine de l’augmentation de la résistance interne de la batterie, de la baisse des performances, et in fine de l’augmentation du risque de départ de feu. La détérioration d’une cellule, par exemple lors d’un choc, cause l’échauffement initial. Vers 90 °C, la couche de passivation de l’anode et cathode se détériore. Vers 170 °C, le séparateur fond et à 250 °C des gaz inflammables et toxiques s’échappent de la cellule. Enfin, le court-circuit enflamme ces produits gazeux de dégradation. Les cellules adjacentes s’échauffent à leur tour : c’est l’emballement thermique (Thermal run away). »
Franck POUTCH insiste sur plusieurs points majeurs : « Plus la batterie sera chargée, voire surchargée, plus ces réactions seront activées et le risque accru. L’énergie rayonnée par un feu de véhicule électrique est comparable à celle d’un feu de véhicule thermique, énergie globalement proportionnelle à la masse combustible. Une voiture, c’est environ 400 kg de plastiques. Avec un départ de feu non causé par la batterie, cette dernière s’enflammera au bout de dix minutes environ et son panache se confondra avec celui du véhicule. Parfois, à la suite d’un choc mécanique, d’une collision, ou d’une surcharge, la batterie peut se mettre en défaut et dans ce cas le véhicule s’enflamme alors instantanément, à la différence d’un véhicule thermique. La cinétique d’inflammation du véhicule électrique est plus rapide. À partir de 200 °C, la batterie dégage de l’acide fluorhydrique, toxique, et à 260 °C de l’hydrogène. Lors de l’embrasement, des torches de flammes à 1 400 °C sont projetées latéralement, chargées parfois de particules de cobalt et de lithium. D’où un risque de propagation plus rapide aux autres véhicules. S’ensuivent des flammes de diffusion moins violentes, à la température de 800 °C. La solution d’extinction est le refroidissement à cœur de la batterie avec de l’eau, pour ralentir la cinétique, arrêter les réactions chimiques, puis capter et neutraliser l’acide fluorhydrique. Si la température repart à la hausse, le cycle d’inflammation reprendra, même après une première extinction des flammes. »
L’ingénieur chimiste évoque également le risque d’incendie accru dans les bâtiments par les batteries Li-ion liées aux installations photovoltaïques, industrielles ou domestiques. « L’occurrence est faible, admet Franck POUTCH, mais la gravité de l’incendie dépend de la masse combustible mobilisable dans l’environnement des batteries. Le bon sens recommande d’isoler le local batterie à l’extérieur des bâtiments. »
Alors que Franck POUTCH tient à « démystifier l’aspect sécuritaire du véhicule électrique », Damien ROUBINEAU, expert « Nouvelles énergies et mobilité » du groupe CNPP (Centre national de prévention et de protection), situe le risque au regard des statistiques des parcs de véhicules.
Mobilités électriques : nouveaux risques ?
Les statistiques américaines du National transportation safety board (NTSB) donnent un ordre de grandeur du nombre d’incendies par an pour 100 000 véhicules de même type de motorisation : 1 530 pour 100 000 voitures thermiques, 3 475 pour les voitures hybrides et 25 pour les voitures électriques. Damien ROUBINEAU analyse ces chiffres : « Point important, l’âge moyen des voitures électriques est bien inférieur à celui des voitures thermiques et hybrides. Les données du NTSB sont donc potentiellement favorables aux véhicules électriques car ils comparent une famille de véhicules récente à des familles de véhicules en moyenne plus anciennes. Il demeure néanmoins une réalité : à ce jour, ce sont les véhicules électriques qui ont le moins de chance de prendre feu quelle que soit l’origine de l’incendie. Concernant les voitures hybrides, elles additionnent les risques des deux motorisations avec, en plus, un risque supplémentaire lié aux cycles fréquents décharge-charge par l’alternateur. La complexité ajoute de l’accidentologie. La micromobilité électrique – les trottinettes, les scooters – ne présente pas le même niveau de sécurité que les voitures, sécurité qui dépend notamment de la qualité des cellules et du battery management system, élément clé de la stabilité et de la sécurité des batteries. Attention aux batteries achetées à bas coût sur Internet sans aucun suivi qualité des produits. »
Un rapport récent du ministère de l’Intérieur(3) cite de nombreuses sources internationales sur les feux de véhicules. Il en ressort notamment que l’intensité de l’incendie d’un véhicule électrique est comparable à celle des véhicules thermiques, car c’est l’omniprésence du plastique dans les véhicules actuels qui facilite le départ de feu et accroît la vitesse de propagation. Mais le comportement au feu des véhicules électriques diffère par la reprise possible et par la difficulté de l’éteindre. « Pour les batteries Lithium-ion, le meilleur agent extincteur est l’eau, précise Damien ROUBINEAU. L’extinction d’un feu de véhicule thermique demandera moins de 2 m3 d’eau dans des conditions normales d’intervention, alors qu’il en faudra généralement 10 fois plus pour éteindre et refroidir complètement un feu de voiture électrique. »
À l’heure actuelle, il n’existe pas de techniques d’extinction de feu de batterie qui fassent consensus parmi les constructeurs de véhicules ou les services d’incendie et de secours. Renault a conçu avec l’aide du SDIS 78 un dispositif simple d’injection directe d’eau dans une batterie avec une lance à eau, moyen basique et accessible à l’ensemble des centres de secours.
Les auteurs du rapport suggèrent que « les techniques d’intervention en adéquation avec les solutions des constructeurs respectent un principe de généralité et restent simples. Il n’est pas concevable qu’il y ait autant de techniques d’intervention que de solutions ou d’innovations des constructeurs. La mission suggère d’inverser l’approche : le principe pourrait être que les solutions constructrices soient compatibles avec les équipements et les techniques des services d’incendie et de secours, et non pas que [ceux-ci] soient en permanence dans l’obligation d’adapter leurs techniques et leurs équipements aux innovations et solutions des constructeurs. Un partenariat services de secours-constructeurs devrait être établi à l’échelle supranationale, a minima européenne. » Ainsi, le rapport recommande de doter les parcs de stationnement de tous types et les véhicules des services de secours de couvertures anti-feux adaptées aux matériaux de type fibre de verre.
Sécurité incendie des parkings : nombreuses interrogations
En matière de sécurité incendie des parcs de stationnement, le rapport du ministère de l’Intérieur indique que « la recharge normale (puissance inférieure ou égale à 22 kW) d’un véhicule électrique (dont la batterie ne comporte pas de défaut de fabrication et n’a pas subi de choc) présente peu de risques lorsqu’elle est effectuée sur un point de recharge normale dont l’installation est conforme à la réglementation. » Le rapport souligne l’efficacité d’une réglementation englobant l’installation électrique en amont de la borne de recharge et la borne elle-même(4). Pour les ERP (Établissements recevant du public), la mise en place des points de recharge dans les parcs de stationnement couverts doit respecter la norme NF C15-100. Mais la réglementation française sur la sécurité incendie des parkings couverts est organisée en silos, par typologie de bâtiments : habitations, IGH (Immeubles de grande hauteur), BUP (Bâtiments à usage professionnel), ICPE (Installations classées pour la protection de l’environnement), ce qui conduit à des niveaux de protection différents pour un même risque. Aux États-Unis, il n’existe pas de dissociation de la réglementation entre les parkings des différents types de bâtiments.
Des feux très importants impliquant, en France et à l’étranger, des dizaines voire des centaines de véhicules ont réactualisé la question de la généralisation – ou pas – du sprinklage, qui n’a pas pour rôle d’éteindre l’incendie, mais de retarder suffisamment sa propagation pour que les pompiers puissent le maîtriser dans un second temps. À cette échelle de sinistralité, pouvant conduire à la destruction locale d’éléments porteurs, la mission du ministère de l’Intérieur recommande de reprendre des essais de caractérisation des feux de parcs de stationnement : « Réaliser des essais à taille réelle permettant de mieux apprécier la vitesse de propagation d’un incendie entre des véhicules actuels, aussi bien électriques que thermiques, reprendre les calculs relatifs à la stabilité des parcs de stationnement métalliques et en bois, et installer des dispositifs d’extinction automatique si nécessaire. »
Pour Damien ROUBINEAU, l’augmentation notable du volume des voitures constitue un probable facteur facilitant la propagation du feu entre véhicules en stationnement : « Des véhicules plus gros réduisent le volume sous le plafond du parking. La source de chaleur est plus proche et l’effet d’étalement des gaz chauds est accru. La distance entre véhicules est aussi réduite, la propagation est plus facile. » L’expert plaide vigoureusement pour la réalisation de nouvelles campagnes d’essais à échelle 1 sur deux types de parkings, les souterrains, infrastructurels, et ceux en silo largement ventilés, en superstructure : « La modélisation est une extrapolation de phénomènes physiques connus. Or, aujourd’hui, faute d’essais à taille réelle avec tous ces nouveaux paramètres, on ne peut pas extrapoler de manière fiable à partir des données anciennes de feux de véhicules plus petits. De nombreuses interrogations sont ouvertes : quelle cinétique de propagation avec des voitures plus imposantes ? Quelle influence de la mixité de motorisation et de l’usage d’installations de recharge de véhicules électriques ? Quelle efficacité pour le sprinklage ? Quel comportement au feu des structures des parkings ? Ces essais seront très coûteux, mais ils sont d’utilité publique face aux enjeux de sécurité et aux coûts des sinistres majeurs. »
Les pompiers préventionnistes alertent : la réglementation par type de bâtiments n’est plus adaptée à la réalité actuelle des usages. De plus en plus, fleurissent des projets mélangeant les occupations relevant de différents textes. Par exemple, telle « résidence seniors » regroupe dans un même bâtiment les appartements de résidents permanents, un restaurant accessible aux proches, des logements ouverts à des séjours temporaires avec une clientèle touristique, et des espaces de services collectifs. Comment classer les différents volumes ? Quel niveau de sécurité incendie pour un bâtiment mélangeant ERP et habitation collective ?
Tel autre complexe immobilier empile, après rénovation d’un immeuble de bureaux, un parking souterrain, des locaux commerciaux, un restaurant, des espaces de coworking et de coliving. Analyse des risques complexe et casse-tête réglementaire pour le préventionniste du SDIS sollicité au moment du dépôt de l’autorisation d’urbanisme, souvent bien trop tard pour intervenir efficacement sur les choix constructifs et organisationnels.
Le lieutenant-colonel Pierre PRÉVOST insiste aussi sur la réalité de la dépendance croissante d’une population de plus en plus nombreuse vieillissant à domicile, voire hospitalisée à domicile, à mobilité réduite : « On ne construira pas 30 % du parc neuf en EHPAD. Il faut donc réfléchir à l’habitation apte à accueillir la dépendance en sécurité. La FNSPF recommande la création d’une catégorie “Habitat aggravé”. Une petite évolution réglementaire et des équipements à moindre coût amélioreraient la sécurité du domicile des personnes à mobilité réduite. Par exemple, par l’aménagement de deux issues à l’opposé de l’appartement. Ou par un ferme-porte asservi, activé par une tête de détection feu autonome. »
Plus de bois et de biosourcés
Avec un réchauffement climatique qui s’emballe, l’emploi des matériaux biosourcés, par nature puits de carbone issu de la biomasse, a un bel avenir dans le bâtiment (structure, isolation et mobilier) : la photosynthèse reste le moyen de captation du CO2 le plus efficace à l’échelle planétaire. En outre, l’évolution continue des technologies et des produits du bois permet des performances structurelles qui poussent les bâtiments en bois toujours plus haut, répondant ainsi à l’impérieuse nécessité de sobriété foncière.
Une question se pose : comment assurer la sécurité incendie de ces nouveaux édifices aux matériaux par nature combustibles ? Grégoire PIANET, ingénieur « Construction bois et sécurité incendie » de l’institut technologique FCBA, rappelle que la construction en bois n’est pas nouvelle. « Preuve de sa traditionnalité, explique-t-il, elle obéit aux mêmes exigences normatives et réglementaires que les autres matériaux : normes NF EN et marquage CE sur les produits, Eurocodes pour la conception et NF DTU pour la mise en œuvre. Depuis plus de 50 ans en France, les techniques constructives en bois sont encadrées par le NF DTU 31.2 pour l’ossature bois petite portée (maisons individuelles et petits collectifs) et par le NF DTU 31.1 pour la charpente de moyenne à grande portée (gymnases, entrepôts)(5). Les techniques poteaux/poutres et portiques ont complété le NF DTU 31.1 depuis 1993. Ce qui est plus récent dans la culture de la filière bois française, c’est sa volonté affirmée de développer l’ossature bois porteuse jusqu’à 28 m de hauteur (pour le plancher bas du dernier niveau). La filière vise notamment le marché de la surélévation en ossature bois sur existant et pour le neuf la mixité bois-béton-métal. La filière et l’État ont beaucoup investi pour étendre en 2011 le domaine de validité du NF DTU 31.2 jusqu’à 28 m. Les panneaux en bois lamellé-croisé (CLT) s’emploient sous Avis Techniques depuis plus de 30 ans en Europe et plus de 20 ans en France, dans des projets en mixité bois-bois ou bois-béton. En fort essor également, le marché de la façade ossature bois non porteuse sur gros œuvre béton est encadré jusqu’à 28 m depuis 2020 par le NF DTU 31.4. »
(5))La première version du NF DTU 31.1 date de 1953 et celle du NF DTU 31.2 de 1972.
Quels risques avec le bois ?
Trois incendies importants et récents témoignent, pour les pompiers, « des limites d’une réglementation conçue pour des structures incombustibles ». À Draguignan (83) en 2019, des balcons en bois rapportés sur une façade en béton brûlent en totalité avec un tel rayonnement que certains volets PVC de l’immeuble en face fondent. À Ostwald (67) en 2022, une partie des logements d’un immeuble à ossature bois est entièrement détruite. Enfin, à Montfermeil (93) en 2023, un bâtiment scolaire en chantier prend feu. L’ossature bois en construction est entièrement embrasée avant même l’arrivée des pompiers de Paris. Ce sinistre, probablement d’origine criminelle, pointe la fragilité de la phase chantier pour les matériaux inflammables, biosourcés ou non. Pour Julien HERBERT, ingénieur à l’Agence qualité construction (AQC), « en l’absence de protection passive, avec des matériaux directement exposés ou stockés sans précaution particulière, il y a un risque d’incendie en phase chantier. Attention à l’emploi des disqueuses, chalumeaux et de la soudure, qui doivent faire l’objet de permis feu. » Ces trois sinistres n’ont fait aucune victime. Tous les habitants ont pu quitter les logements à temps. Dans les trois cas, c’est la rapidité de développement du feu qui inquiète particulièrement le lieutenant-colonel Franck MAILLARD.
L’évaluation des risques incendie des constructions en bois est un chantier très vaste et difficile, abordé différemment selon les points de vue. Philippe BONTEMPS, ingénieur et responsable « R&D bas carbone » du bureau d’études Terrell Group, travaille sur la conception d’immeubles en bois. Il appelle la filière bois à assumer les singularités des matériaux et des techniques constructives bois, et à adopter une taxinomie des systèmes constructifs afin de clarifier les échanges entre la filière, les pompiers, les assureurs et les pouvoirs publics : « Le comportement au feu des éléments biosourcés est un des sujets les plus complexes. Le processus collectif de changement d’une réglementation fondée sur la minéralité incombustible exige de bien nommer et classifier la dizaine de systèmes constructifs bois, comme l’ont fait de nombreux pays avec succès dans un contexte de massification. L’amalgame sous le terme flou de “construction bois”, ne marche pas : une maison individuelle en bois ne s’aborde pas comme une tour de douze étages en bois, ou le bois apparent dans une école de campagne comme le bois apparent dans un ERP de première catégorie en site urbain. Est-ce qu’un panneau CLT se comporte au feu comme une ossature bois caissonnée ? Est-ce qu’un poteau-poutre apparent massif pose les mêmes problèmes qu’une forêt de fermettes industrielles ? Non, les doctrines des pompiers n’ont pas pour objectif de remettre en cause les acquis historiques de la charpenterie bois, mais bien de contenir des risques émergents spécifiques, en l’état des connaissances diffusées par la filière bois. »
La question des pièges à feu couvant
Philippe BONTEMPS différencie plusieurs types de risques selon les techniques : « Les cavités à l’intérieur des structures comme en ossatures bois sont des pièges à feu couvant, difficiles à trouver et à éteindre. Pour les structures massives qui ne sont pas protégées, l’enjeu sera de mettre sous contrôle le développement du feu. En effet, il faut différencier le risque de deux structures massives en CLT dans un angle et celui de deux poteaux-poutres distants de cinq mètres. Le développement du feu varie en fonction de la distribution spatiale, du rayonnement, de l’auto-entretien, des chutes de charbon incandescent… Des essais déjà menés avec du CLT plus ou moins encapsulé, avec différentes distributions, démontrent la grande variété des comportements au feu. À étudier aussi les conditions de l’auto-extinction. La question de la délamination au feu du CLT se pose, avec la recherche de colles qui ne sont pas délaminantes. Les assemblages des grosses sections génèrent des retraits de séchage propices à la naissance d’incandescences couvantes. Bref, il faut une intensification des essais feu au-delà du critère habituel de résistance au feu selon les Eurocodes. »
Consultant « Construction bois et biosourcés », fondateur du bureau d’études Gaujard Technologies, ancien président de Fibois Sud, Olivier GAUJARD explique la problématique de la délamination au feu des plis du CLT : « Sur un plancher en CLT, la combustion du bois va progresser d’environ 20-25 mm en une demi-heure. En bois massif, la couche carbonée protège, le bois en dessous reste sous les 100 °C. Mais la délamination des plis du CLT provoque l’effondrement du pli carbonisé et découvre une nouvelle couche à brûler… Je suggère aux fabricants d’étudier l’augmentation de l’épaisseur des plis des faces inférieures des planchers CLT, ou d’interposer une plaque de plâtre. Un développement de colles qui ne sont pas délaminantes est aussi à rechercher. »
Des référentiels collectifs pour le bois
Grégoire PIANET rappelle pour sa part l’existence de référentiels collectifs produits à la suite d’une série d’études lancées en 2009 par la filière bois avec le soutien de l’État : « En matière de résistance au feu, cela concerne par exemple les solutions d’écrans thermiques sur parois bois de l’annexe nationale de l’Eurocode 5 (NF EN 1995-1-2/NA) permettant de justifier des solutions de protection de REI 15 à REI 60 des murs et planchers, et jusqu’à REI 90 pour les parois verticales(6). Le guide Bois, construction et propagation du feu par les façades(7), réalisé par FCBA et le CSTB, et mis à jour fin 2023, a valeur d’appréciation de laboratoire. Les solutions présentées se substituent aux solutions réputées obsolètes de l’instruction ministérielle IT n° 249. Le site “Catalogue bois construction”(8) est un outil technique accessible à tous qui recense de nombreuses solutions standardisées de parties d’ouvrage bois et leurs performances, notamment au feu. »
En 2023, le projet SEIFBois, porté par FCBA, les laboratoires CSTB et Efectis, le bureau d’études Elioth by Egis et l’association IBC (Ingénierie bois construction), a été lauréat de l’appel à projets de l’Ademe Soutien à l’innovation dans la construction matériaux bois, biosourcés et géosourcés de France 2030. Axé sur la sécurité incendie des bâtiments en bois multi-étages, le projet SEIFBois permet de mener sur trois ans des essais de résistance au feu, de propagation en façade et des simulations numériques. Il conduira des recherches sur l’extinction des flammes vives du bois de structure laissé apparent, sur des solutions d’écran thermique, sur les phénomènes de propagation intérieure, mais aussi sur les solutions pour les cavités et les interfaces…
Proposé par un consortium piloté par le centre d’essais au feu Cerib (Centre d’études et de recherches de l’industrie du béton), le projet Safeti est également lauréat de cet appel à projets, dont certains axes de recherche sont complémentaires au projet SEIFBois, comme les systèmes de sprinklage et les brouillards d’eau : les connaissances en sécurité incendie des immeubles en bois devraient grandement progresser dans les prochaines années.
(6)Selon la classification européenne, la résistance au feu d’un élément de construction notée REI 90 signifie 90 minutes de conservation de la résistance mécanique « R », d’étanchéité « E » aux gaz, et flammes et d’isolation thermique « I ». (7)Pour le télécharger : https://www.codifab.fr. (8)Pour en savoir plus : https://catalogue-bois-construction.fr.
Pour un socle réglementaire unifié
En matière de réglementation incendie, face à la complexité grandissante des techniques constructives et des usages au sein d’un même bâtiment, les animateurs de la commission Prévention de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) plaident pour le remplacement d’une réglementation fragmentée en silos, différenciés en type d’occupation, par un socle commun aux habitations collectives, aux ERP, et aux établissements relevant du Code du travail. Ce socle unique de règles de base communes serait complété par des règles particulières selon des filtres pragmatiques : par exemple locaux à sommeil ou pas ? Évacuation immédiate ou pas ?
« Aujourd’hui, un même parking peut servir simultanément à un ERP, des locaux professionnels et des habitations, avec des prescriptions de sécurité incendie différentes selon le statut considéré », témoigne le lieutenant-colonel Franck MAILLARD. Les préventionnistes soulignent les fortes difficultés à exercer leur métier en raison du gel de la réglementation avec les lois Essoc(9) et Elan(10), et regrettent la disparition de la Commission centrale de sécurité et du Comité d’étude et de classification des matériaux et éléments de construction (CECMI).
Au regard de la qualité des démarches de recherche et développement sur la sécurité incendie, des études et des essais entrepris par les différents acteurs, mais aussi du dialogue engagé par toutes les parties prenantes, l’évolution de la sécurité incendie est bien engagée. 📒
(9)Loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance. (10)Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique.