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Maison du parc de loisirs Mysterra (17) pour valoriser l'article « Confort d’été – Ventilation naturelle : quand l’architecture s’allie au climat » de l'AQC

Confort d’été – Ventilation naturelle : quand l’architecture s’allie au climat

Maison du parc de loisirs Mysterra (17) pour valoriser l'article « Confort d’été – Ventilation naturelle : quand l’architecture s’allie au climat » de l'AQC
Revue Qualité Construction N°209 - Mars/Avril 2025
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Rafraîchir l’air des bâtiments sans ventilation mécanique ni climatisation n’est pas une utopie mais bien une réalité. Des architectes et urbanistes adaptent des techniques ancestrales qui utilisent les vents, les brises thermiques et les effets de cheminée pour renouveler et rafraîchir l’air. Ils créent ainsi des espaces plus sains, plus confortables et moins énergivores. Leur approche permet aussi de lutter contre les îlots de chaleur. De la métropole aux climats tropicaux, ces pionniers démontrent que la frugalité peut rimer avec créativité et bien-être.

Dans notre siècle dominé par le technosolutionnisme(1), on aurait tendance à l’oublier : la ventilation naturelle des villes et des bâtiments a été pensée et utilisée dès l’Antiquité. Bien sûr, sous des climats tempérés ou froids, avec des enveloppes fuyardes par toutes les ouvertures et par les cheminées des foyers ouverts, les siècles se sont succédé sans nécessité forte de systèmes constructifs favorisant l’aération. Ce sont les bâtisseurs des pays du Sud qui ont, il y a plus de 3 000 ans en Iran et en Égypte, inventé les moulins et les tours à vent couplant la surpression du vent en entrée et le tirage thermique en sortie. Dans les zones tropicales humides, des façades très ouvertes favorisent la ventilation naturelle traversante. Ou quand le vent trop brûlant du désert dessèche tout, ce sont les ruelles étroites, couvertes et ombragées, qui créent des brises thermiques rafraîchissant la peau.

Au XIXe siècle, sous nos latitudes, la concentration d’habitants dans les immeubles des villes qui s’industrialisent, les idées hygiénistes ainsi que la révolution industrielle (avec ses possibilités techniques et sa pollution de l’air) ont poussé architectes et ingénieurs à chercher des solutions de renouvellement, voire de purification de l’air des logements ou des salles de spectacle, avec force cheminées et conduits dédiés.

Dans les années 1990, c’est en Angleterre que des architectes s’inspirent des halles de séchage du houblon pour introduire des systèmes de ventilation naturelle par effet cheminée assisté par le vent dans des bâtiments universitaires, un théâtre, et des immeubles résidentiels et tertiaires. Les ingénieurs aussi contribuent­ à la mise au point des régulations des débits pour limiter les consommations de chauffage et récupérer la chaleur par double flux.

Ces réalisations britanniques ont inspiré la génération d’architectes et d’ingénieurs français férus de « frugalité heureuse et créative »(2), qui cherchent à créer des bâtiments où l’on puisse « respirer sans machine »(3).

(1)Le fait de vouloir résoudre les crises sociales ou technologiques par l’innovation technologique.
(2)Publié en 2018 par l’ingénieur Alain Bornarel et les architectes Dominique Gauzin-Müller et Philippe Madec, Manifeste pour une Frugalité heureuse et créative dans l’architecture et l’aménagement des territoires urbains et ruraux appelle le monde du bâtiment à une plus grande frugalité (énergie, matière, technicité…). Pour en savoir plus : https://frugalite.org/manifeste.
(3)« Ventilation naturelle – Respirer sans machine », titre de l’exposition et des conférences présentées en mars et avril 2023 à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-La Villette (ENSAPLV).

Physique des courants d’air

Que ce soit à l’échelle atmosphérique ou à celle d’un bâtiment ou d’une pièce, les masses d’air se déplacent selon les lois de la dynamique des fluides, suivant des gradients de pression et de température. L’air d’une zone en surpression est comme aspiré vers une zone en dépression. Ainsi, le vent qui se heurte à une façade crée une surpression contre cette façade « au vent » et une dépression au niveau de la façade opposée « sous le vent ». Si le vent souffle, il sera possible de créer une circulation d’air naturelle entre deux ouvertures sur les façades opposées d’un volume traversant. L’air chaud est moins dense, donc plus léger à volume égal que l’air froid. Dans une cheminée, ou au-dessus d’un radiateur, l’air chaud va monter et être remplacé par un air plus froid : un courant d’air est enclenché. La conception de la ventilation naturelle utilise ces deux phénomènes physiques.

De plus, une masse d’air en mouvement possède une énergie cinétique proportionnelle au carré de sa vitesse. Cette énergie éolienne est mise à profit par les ventilateurs passifs de cheminée, ces chapeaux de cheminée tournants, munis d’ailettes qui captent l’énergie du vent pour tourner et aspirer mé­ca­ni­quement l’air de la cheminée.

Arles : créer une brise de ville

Urbaniste spécialisé dans le design climatique, fondateur du bureau d’études Freio, Clément GAILLARD a proposé à la ville d’Arles (13) de créer une nouvelle brise thermique pour rafraîchir les rues entre la place de la République et le canal de Craponne, aujourd’hui couvert. Le principe serait de découvrir le canal pour générer une zone refroidie par la masse d’eau et ses abords végétalisés. À quelques centaines de mètres, la vaste place de la République, minérale et surchauffée, provoque un courant thermique ascendant, qui pourrait aspirer l’air frais du canal de Craponne. Le projet est programmé pour 2026.

Depuis plusieurs années, la ville tente d’élaborer des stratégies de rafraîchissement. Elle multiplie les actions pour rafraîchir le centre ancien, soumis aux canicules qui se répètent et s’intensifient. Par exemple, des centaines d’arbres ont été plantés et des fontaines ont été remises en état.

“L’air frais lié à l’évapotranspiration remonte entre les bâtiments par ces ruisseaux de fraîcheur. Autre élément majeur pour la ventilation naturelle : avoir un maximum d’appartements traversants, pour le rafraîchissement nocturne”

Concevoir un quartier avec vents et rivière

À Montpellier (34), l’agence Tourre & Sanchis, en équipe avec le bureau d’études Tribu, a proposé à la ville une stratégie climatique pour la création du nouveau quartier Rive-Gauche et ses 1 250 logements. L’architecte et urbaniste Pierre TOURRE détaille le projet : « Nous avons adapté la morphologie urbaine au climat méditerranéen. Côté nord, les immeubles forment une barrière contre le Mistral. Atout extrêmement favorable, le projet est bordé par le Lez. Au lieu de construire en barrière continue le long de la rivière, nous avons choisi une morphologie fragmentée, avec des ruptures par des couloirs entre les immeubles. L’air frais lié à l’évapotranspiration remonte entre les bâtiments par ces ruisseaux de fraîcheur. Autre élément majeur pour la ventilation naturelle : avoir un maximum d’appartements traversants, pour le rafraîchissement nocturne par les baies opposées des chambres et du séjour, équipées de brise-soleil orientables. Cela induit d’avoir des bâtiments moins épais qu’avant. Plutôt 12 à 14 m d’épaisseur que 18 à 20 m. »
Outre les brises thermiques organisées par les couloirs ouverts entre les bâtiments de l’écoquartier Rive-Gauche, les bâtiments profitent aussi de l’écoulement du vent Marin venant du sud-est.

Lycées  : tout en ventilation naturelle

La même équipe a livré en 2003 à Saint-Clément-de-Rivière, proche de Montpellier, le lycée Jean-Jaurès. Pour cet ERP (Établissement recevant du public) de 15 000 m² de planchers, soumis à un climat sec et très chaud, la maîtrise d’œuvre avait une injonction très forte dans le programme fixé par la région Languedoc-Roussillon, maître d’ouvrage : pas plus de 28 °C dans les classes en mai-juin et septembre-octobre. Pour relever le défi sans climatisation, les concepteurs ont associé plusieurs moyens, comme l’explique Pierre TOURRE : « D’abord donner une orientation nord-sud aux salles de classe et mettre des protections solaires aux ouvertures, même au nord. Pour le rafraîchissement, prendre l’air sous les salles de classe, à un niveau qui reste toujours ombragé, comme les préaux frais ou les vides sanitaires ventilés. L’air entre par des grilles au sol et est aspiré par des tourelles à vent Edmonds en toiture, munies de roue à aubes horizontales non-motorisée, qui créent une dépression importante. Une mission d’évaluation pendant deux années a montré que les objectifs climatiques fixés par la région étaient atteints, entièrement en ventilation naturelle et sans climatisation. »

La régulation de la ventilation naturelle est assurée par des registres au niveau des tourelles d’extraction, registres plus ou moins ouverts selon la vitesse du vent (le Mistral accélère beaucoup l’extraction), la saison, la période de chauffage, l’occupation des locaux… Les coffrets de régulation pour chaque zone sont autonomes. La seule liaison avec la Gestion technique du bâtiment (GTB) centralisée est la prise d’informations sur les conditions d’occupation et de chauffage du lycée. En période de chauffage, s’il y a occupation, la régulation de la ventilation naturelle fonctionne. Puis tous les registres sont fermés une heure après le départ des élèves. Hors période de chauffage, la régulation ne fonctionne pas, tous les registres restent ouverts, quelle que soit l’occupation.

Au lycée Victor-Hugo de Lunel (30), également conçu par l’agence Tourre & Sanchis en ventilation naturelle, l’air extérieur est rafraîchi par un puits provençal, une galerie béton enterrée de 300 m servant également de gaine technique pour les réseaux secs.

Ventilation naturelle et qualité de vie

Architecte et urbaniste depuis 1979, enseignant, écrivain, membre du Chapitre Europe du « Club de Rome », et expert auprès de l’ONU, Philippe MADEC développe « une approche éco-responsable du projet architectural et urbain » depuis le début de sa pratique professionnelle. Pour lui, « la frugalité, c’est deux fois plus de bien-être en consommant deux fois moins de ressources. » Depuis ses premiers travaux de recherche en 1998 sur la ventilation naturelle avec l’ingénieur Alain BORNAREL, fondateur du bureau d’études Tribu, il intègre systématiquement celle-ci dans son architecture attentive aux matières solides et fluides : « Depuis, tous nos bâtiments publics sont en ventilation naturelle. L’air par la ventilation naturelle, la lumière par le rayonnement du soleil, la chaleur par ses apports sont des économies, non pas des injonctions, mais des joies. Cette écologie douce est offerte par la nature que l’architecture agrémente. Par l’emploi de la ventilation naturelle, l’entrée et le chemin de l’air déterminent la position des pièces et des cloisons ; la situation des baies et leur taille assurent une fluidité spatiale et la paisible lumière du jour. Des logements à double orientation ou en angle pour une ventilation traversante, des baies dans toutes les pièces avec des fenêtres ouvrantes, des entrées d’air autoréglages, une solarisation de deux heures au 21 décembre, une protection solaire extérieure qui laisse passer l’air et la vue, alors l’espace se bonifie, il est doux et économe à vivre. »

L’atelier d’architecture Philippe Madec & associés (PMA) a introduit la ventilation naturelle dans de multiples typologies de bâtiments : logements individuels et collectifs, constructions neuves ou rénovations, écoles, musées, médiathèques, salles de spectacle…, mais aussi un chai, la Halle du Grand Palais à Paris…

Ventilation naturelle assistée

Si les sites ouverts sont souvent bien exposés aux vents et aux brises, le tissu urbain dense peut être un vrai obstacle et créer des masques au vent, notamment lorsque l’on est près du sol. La vitesse et la direction du vent sont très variables, ainsi que les besoins de ventilation selon l’occupation et le volume des locaux. On comprend que la conception de la ventilation naturelle demande une ingénierie spécialisée, qui peut prescrire in fine des techniques d’assistance pour pallier un tirage trop faible dans tel ou tel volume.

Par exemple, pour le pôle culturel Aria de Cornebarrieu (31), qui regroupe une médiathèque municipale, une salle de spectacles et une salle de conférences, l’atelier PMA a intégré aux tourelles Edmonds un extracteur asservi à une sonde CO2 qui le déclenche si la ventilation naturelle ne suffit pas. Les cheminées sont des éléments de l’esthétique architecturale. Le shed qui les englobe est vitré sur une face pour augmenter le tirage thermique grâce aux apports solaires passifs. Une surventilation naturelle à 3 vol/h s’obtient par l’ouverture de plusieurs fenêtres réparties dans l’ensemble de la médiathèque. En hiver, des registres motorisés limitent les débits extraits à 30 m3/h par occupant. Les usagers de ce pôle culturel témoignent du confort thermique très satisfaisant de cet ensemble livré en 2017.

Et en rénovation ?

L’approche globale de Philippe MADEC, liant l’air, la lumière et la chaleur solaire, trouve dans la création de la médiathèque James Baldwin dans le 19e arrondissement de Paris une superbe illustration. Pour la ventilation naturelle assistée et l’éclairage naturel des cinq plateaux de ce bâtiment en béton (un ancien lycée), il a été décidé de creuser un patio végétalisé de 10 m par 10 m en plein centre de la construction, dans le volume occupé par les anciens locaux techniques et les circulations. Ce patio apporte la lumière naturelle aux espaces qui l’entourent et crée un puits dépressionnaire qui aspire l’air qui arrive en façade extérieure, balaye les plateaux et ressort par les fenêtres côté patio. Plusieurs types de ventilation naturelle sont employés, selon le niveau : directe traversante ou assistée contrôlée, avec ou sans double flux.

Gérer le froid et les courants d’air

L’architecte Michel DELPLACE, associé de l’agence ANMA, attire l’attention sur l’adaptation du système de ventilation au climat local. « Entre le climat océanique aux températures stables de Saint-Brieuc et les grands écarts de température du climat plus continental de Reims, les préoccupations sont différentes. Il peut y avoir des sensations froides désagréables si les entrées d’air sont très proches de l’occupant de la pièce. Pour prévenir ce désagrément, nous avons parfois installé des entrées d’air spécifiques avec des bouches de préchauffage, alimentées par de la chaleur récupérée par un échangeur double flux. Pour le nouveau ministère de la Défense (163 000 m²), nous avons associé la ventilation naturelle assistée à un système double flux de récupération de la chaleur des salles contenant les serveurs informatiques. Les bâtiments fonctionnent en insufflation et extraction naturelle 60 % du temps, par simple ouverture des fenêtres et cheminées. »

Bon nombre d’installations de ventilation naturelle utilisent des entrées d’air autoréglables de marque Renson. Grâce à un clapet qui réagit aux différences de pression, le débit d’air est maintenu constant en cas de forte pression du vent. Le clapet autoréglage possède une fonction anti-retour pour éviter les pertes d’énergie. De plus, l’utilisateur a la possibilité de régler manuellement le débit par un second clapet intérieur inclinable. Le flux d’air est orienté vers le haut pour une bonne répartition dans la pièce et éviter la sensation de courant d’air. En sortie, réduire l’extraction en hiver de l’air chauffé se fait en ventilation naturelle en limitant le débit sortant par des registres qui ferment partiellement les conduits.

Gain de hauteur grâce à la ventilation naturelle

L’architecte Pascal GONTIER est un spécialiste des opérations « très basse consommation d’énergie ». Formé à la construction passive (Passivhaus), conception intégrant la Ventilation mécanique contrôlée double flux (VMC DF), il a néanmoins voulu expérimenter la ventilation naturelle sur sa propre maison de ville (appelée « Gaïta »), recherchant « le moins d’assistance en toute chose ». Convaincu en 2010 par l’efficacité de la ventilation naturelle (sans assistance et récupération de chaleur) de sa maison, il introduit la ventilation naturelle dans tous ses projets. Ainsi pour le concours lancé par l’université Paris-Nanterre pour la construction d’un bâtiment de bureaux destiné aux chercheurs, il réunit une équipe d’ingénierie pour la structure bois, l’acoustique et les fluides : « Avant de dessiner, nous l’avons écrit dans nos objectifs : tout en bois, pas de VMC sauf au rez-de-chaussée qui comprend des locaux à forte occupation, ventilation naturelle pour les bureaux. Par rapport à une VMC DF qui prend beaucoup de place dans les plafonds, la ventilation naturelle fait gagner de la hauteur : pas de faux plafonds, ni de faux plancher. Or, pour ce projet il y avait une forte contrainte de hauteur, avec un pas d’étage imposé pour une continuité de niveaux avec un bâtiment existant. Cela passait bien en ventilation naturelle, en plus du bois pour les plafonds acoustiques. Cela nous a probablement fait gagner le concours, malgré les risques pris avec nos propositions innovantes. »

Livré en 2016, ce bâtiment (« Max Weber ») de 4 904 m² de planchers est équipé d’une ventilation naturelle bureau par bureau. Dans les pièces, l’entrée d’air se fait par deux grilles de ventilation (Renson) avec absorbeur acoustique, posées au-dessus des châssis au ras du plafond en bois. Une troisième entrée d’air à gros débit et ouverture manuelle permet la surventilation nocturne en période chaude. Pour l’extraction, 25 cheminées (3,80 m) regroupent chacune 8 conduits individuels (section 30 x 40 cm). Chaque cheminée est équipée d’un ventilateur actionné par le vent ou, à défaut, par un moteur.

La vitesse de base de circulation d’air de la ventilation naturelle est de 0,2 à 0,4 m/s, au lieu de 1 à 2 m/s en VMC, ce qui prémunit contre l’impression de « douche » d’air froid. La régulation se fait bureau par bureau, par les occupants eux-mêmes. « Il a fallu un peu de pédagogie au départ pour les inciter à accélérer le débit de nuit en période chaude, se souvient Pascal GONTIER. Au niveau investissements, il y a un surcoût lié aux conduits et aux cheminées, compensé par l’absence de local de CTA(4) et de faux-plafonds. Et comme il n’y a aucun entretien, à long terme la ventilation naturelle est gagnante. »

(4)Centrale de traitement de l’air.

“La ventilation naturelle peut être efficace en climat tropical pour limiter le recours à la climatisation, comme le prouvent de nombreuses études et de belles réalisations à La Réunion”

La ventilation naturelle : une solution à La Réunion

Selon les chiffres de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) publiés en 2018, plus de deux milliards de climatiseurs étaient en service sur la planète, installés principalement aux États-Unis, en Chine et au Japon. En 2018, ils représentaient environ 10 % de la consommation mondiale d’électricité et 7 % des émissions de gaz à effet de serre. Le parc mondial de climatiseurs devrait doubler d’ici 2040, avec l’équipement de pays comme l’Inde. Près de 50 % de la population mondiale vivra dans la ceinture intertropicale d’ici 2050. C’est dire si l’enjeu de la climatisation est vital pour l’avenir du climat et particulièrement pour la vie des habitants des pays chauds. La ventilation naturelle peut être efficace en climat tropical pour limiter le recours à la climatisation, comme le prouvent de nombreuses études et de belles réalisations à La Réunion.

Maäréva PAYET est ingénieure responsable des pôles « R&D » et « Qualité environnemental des bâtiments » du bureau d’études LEU Réunion, spécialisé dans la conception de bâtiments bioclimatiques. Elle décrit les moyens qui font leurs preuves sur l’île de l’océan Indien au climat tropical humide : « Par exemple, pour le collège Roquefeuil à Saint-Gilles, livré en 2021, un patio paysagé au centre du bâtiment du réfectoire et du CDI forme un puits dépressionnaire qui aspire l’air au travers des façades poreuses. La surélévation du puits au-dessus du toit-terrasse accentue la dépression créée par le vent. Les salles de classe sont en ventilation naturelle traversante, grâce à des jalousies(5) réglables manuellement. Des brasseurs d’air viennent en complément pour les jours avec moins de vent. Mais attention à ne pas faire entrer l’air chaud ! Avec notre climat tropical et un rayonnement solaire très fort, il faut éviter la minéralisation des abords des bâtiments, et les végétaliser abondamment. Les protections brise-soleil sont également indispensables. »

(5)Les jalousies (persiennes vitrées) laissent passer la lumière et plus ou moins l’air selon l’inclinaison réglable des lames.

Former les usagers

Si ces principes de base sont simples, la conception et le dimensionnement à l’échelle d’un ensemble de bâtiments sont complexes car ces deniers peuvent générer des masques entre eux. L’exposition aux vents dominants et aux brises thermiques, la présence d’obstacles (relief, arbres, bâtiments…) sont autant de variables qui peuvent nécessiter pour les gros projets une étude en soufflerie. Maäréva PAYET souligne la nécessité d’une approche globale, incluant les gestionnaires et les usagers. Elle a même fait de la simulation du comportement des usagers le sujet de sa thèse de doctorat(6). « Si la ventilation naturelle seule ne suffit pas sur la totalité de l’année, notamment en saison chaude et humide, elle reste un moyen de limiter à quelques mois le recours à la climatisation, très gourmande en électricité. À La Réunion, le secteur du bâtiment représente 25 % des consommations d’énergies primaires. C’est également le plus gros consommateur d’électricité, produite en majorité par des énergies fossiles. Chaque kWh électrique produit émet en moyenne 700 g de dioxyde de carbone. Pour une climatisation toute l’année, on va chercher à faire une boîte étanche isolée pour garder la fraîcheur à l’intérieur. Si on veut favoriser la ventilation naturelle sur l’année, on se concentrera sur de larges ouvertures et des protections solaires efficaces. Dans ce cas, isoler toutes les façades peut être contre-productif puisque le but est de laisser la chaleur intérieure s’évacuer vers l’extérieur. La question d’un asservissement a minima de la ventilation et de la climatisation doit aussi être étudiée, ainsi que la formation des gestionnaires et des usagers à la bonne compréhension des systèmes techniques, et à leur intérêt. Cela permet d’éviter les dérives entre ce qui est prévu en conception et ce qui se passe réellement en exploitation. La clientèle des hôtels est aussi un type d’usagers particuliers, qui peut être moins réceptif : “On a payé pour la clim”… »

Dans sa thèse, l’ingénieure énonce les règles d’or pour « vivre au frais dans un climat chaud » : « La ventilation naturelle est la technique de conception passive la plus efficace pour des bâtiments tropicaux, à condition qu’elle soit couplée à une stratégie d’évitement de la chaleur. » À savoir : « En limitant les sources d’apport de chaleur dans le bâtiment, par l’isolation de la toiture, les protections solaires de la toiture et des façades, la sobriété électrique des équipements techniques et informatiques. Mais aussi en végétalisant les abords des bâtiments. Une fois les sources de chaleur réduites, la ventilation naturelle prend tout son sens, par des systèmes passifs favorisant les jeux de surpression-dépression, par l’orientation aux vents dominants, les puits de ventilation, et les façades opposées poreuses. En complément, les brasseurs d’air sont des systèmes simples à faible consommation d’énergie. » En créant un courant d’air de vitesse 1 m/s localisé sur une zone réduite, un brasseur d’air procure un abaissement de la température ressentie par la peau d’environ 4 °C, grâce à l’évaporation de la sueur. 📒

(6)Simulation du comportement des usagers dans les bâtiments tertiaires à faible consommation énergétique, en zone tropicale (université de La Réunion, 2022, 195 pages). À télécharger à l’adresse suivante : https://theses.hal.science/tel-04022503v1.

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