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Énergies locales et renouvelables – Réseaux de chaleur, un levier majeur pour la transition énergétique

Revue Qualité Construction N°197 - Mars/Avril 2023
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Dans un contexte de renchérissement du prix de l’énergie, les réseaux de chaleur apparaissent plus que jamais comme une solution probante tant sur un plan économique que d’un point de vue écologique. S’ils fournissent à peine 5 à 6 % de la chaleur produite en France, ils font l’objet d’un engouement renouvelé de la part des collectivités locales, des pouvoirs publics et des opérateurs privés. En effet, les réseaux de chaleur sont la promesse d’une énergie produite et consommée localement, offrant la possibilité de réduire l’empreinte carbone et les coûts de l’énergie dans les territoires.

Poussées par les incitations financières du Fonds Chaleur, les installations de production de chauffage ont largement augmenté la part des énergies renouvelables et de récupération dans leur mix énergétique. Désormais, la plupart fonctionnent a minima avec plus de la moitié de combustibles non fossiles. Quant aux réseaux plus anciens, ils bénéficient d’un « verdissement » afin de réduire le recours à des énergies carbonées et onéreuses comme le gaz. Mais si l’Hexagone est en retard, l’innovation ne l’est pas : les projets basés sur de la géothermie profonde ou de surface, le solaire thermique en appoint, la récupération de chaleur « fatale » (perdue) provenant des data centers ou des eaux usées sont légions. Sans compter la thalassothermie qui capitalise sur la chaleur de l’océan ou celle des rivières. Si le confort d’hiver est visé par le développement et l’extension des réseaux de chaleur, le confort d’été est aussi regardé avec un intérêt croissant. Encore peu nombreux en France, les réseaux de froid sont indéniablement promis à un grand avenir. Mais c’est un fait : la France est aujourd’hui en retard en matière de production de chaleur à partir de réseaux collectifs étendus à des portions plus ou moins importantes du territoire. Avec un peu plus de 5 % du chauffage (sur 600 TWH d’énergie consommée en France chaque année) provenant des réseaux de chaleur, le pays fait en effet pâle figure par rapport aux pays Scandinaves, et notamment au Danemark où ce taux atteint d’ores et déjà 50 % (mais l’urbanisation est différente). Force est pourtant de constater que les choses bougent sous nos pieds.

898 réseaux de chaleur et 35 de production de froid

Publiée en novembre 2022, l’enquête annuelle réalisée par la Fédération des services énergie environnement (Fedene) et le Syndicat national du chauffage urbain et de la climatisation urbaine (SNCU) avec le concours de l’association Amorce et sous tutelle du Service de la donnée et des études (SDeS) du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires indique qu’en 2021, le sol français comptait 898 réseaux de chaleur pour 29,8 TWh de chaleur livrée nette (contre 25,4 TWh en 2020). En 2009, on dénombrait à peine 400 réseaux et près de 800 en 2019. Selon cette même enquête, le taux d’énergies renouvelables et de récupération (EnR&R) est é­ga­lement en hausse : 62,6 % en 2021 contre 60,5 % en 2020. La chaleur fatale issue des usines d’incinération des déchets (UVE) est de 26,9 %, soit la première source de chaleur, suivie de la biomasse (23,9 %) ou d’autres énergies renouvelables (EnR) comme le solaire thermique (6,3 %). La production liée à la géothermie a doublé en dix ans pour atteindre 2 TWh en 2021, soit 5,5 % du mix énergétique. Les énergies fossiles n’ont toutefois pas disparu. Le gaz naturel a continué en 2021 à se tailler la part du lion dans le mix énergétique des réseaux avec une part qui s’élève à 34,5 %. « Près des deux tiers de la chaleur livrée par ces réseaux est issue d’énergies renouvelables et de récupération (EnR&R) locales, souligne Yann ROLLAND, président du SNCU. Le recours aux EnR&R – qui s’accélère – rend les prix des réseaux de chaleur plus stables et plus compétitifs que ceux des énergies fossiles. Par conséquent, les demandes de raccordements ont triplé – voire quadruplé – dans certaines villes. Le chauffage renouvelable est le meilleur bouclier tarifaire à notre disposition. Cette dynamique doit s’accélérer pour sortir rapidement des énergies fossiles ! »

S’agissant du nombre de bâtiments raccordés, il est de 44 995 en 2021, contre 43 045 un an auparavant. Les longueurs desservies ont ainsi arithmétiquement suivi la tendance à la hausse : 6 529 km de réseaux en fonctionnement en 2021 contre 6 199 km en 2020. Plus de la moitié (52,7 %) des bâtiments aujourd’hui desservis appartient au secteur résidentiel.

L’enquête ajoute que 35 réseaux de froid déployés sur 238 km existent aujourd’hui en France, soit trois de plus qu’en 2020. Même modeste, ce réseau a toutefois permis de livrer 0,8 TWh de froid net en 2021 à 1 445 bâtiments. D’un point de vue géographique, la région Auvergne-Rhône-Alpes – avec 189 réseaux de chaleur – arrive en tête des zones les mieux desservies, suivie du Grand Est (130), de l’Île-de-France (118 réseaux de chaleur et 11 de froid) et de la Nouvelle-Aquitaine (78). Un maillage qui cache toutefois de grandes disparités de puissances fournies : avec 12 650 GWh, l’Île-de-France est loin devant les autres régions (3 849 GWh en Auvergne-Rhône-Alpes et 3 209 GWh dans le Grand Est).

Développement de réseaux de chaleur vertueux

Aujourd’hui, le potentiel de développement des installations en France est considérable et constitue une chance pour gagner en indépendance énergétique. « Les réseaux de chaleur sont un vecteur énergétique soutenu par les pouvoirs publics tant au niveau national qu’européen car ils permettent de valoriser des énergies renouvelables produites et consommées localement », résume Laurent CADIOU, chargé de mission au Bureau économies d’énergie et chaleur renouvelable (Sd5) de la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) du Ministère de la transition écologique et de la Cohésion des territoires : « Pour atteindre l’objectif de multiplier la chaleur renouvelable distribuée, il s’agit de verdir les réseaux existants mais aussi de créer de nouveaux réseaux. Ces dernières années s’est opéré un ver­dis­sement très important des réseaux grâce au Fonds Chaleur et une TVA à taux réduit accordée dès lors que le réseau de chaleur atteint un taux de 50 % d’EnR&R dans sa production de chaleur. Mais les réseaux moins carbonés sont aussi poussés par les réglementations bâtimentaires, le principal outil étant la RE2020. Les enjeux énergétiques, financiers et écologiques autour des réseaux de chaleur sont donc aujourd’hui considérables. » Des enjeux qui posent aussi la question de la dynamique des territoires et de leur capacité à maîtriser leur indépendance énergétique. « L’intérêt premier d’un réseau de chaleur, c’est de faire fructifier les énergies qui ne sont pas délocalisables comme c’est le cas avec les chaufferies bois ou les centrales solaires thermiques, analyse Luc PETITPAIN, chargé d’études “EnR et réseaux de chaleur” au sein du pôle “Réseaux de chaleur et de froid” à la direction territoriale Ouest du Cerema. Quand on parle réseau de chaleur, il faut toujours entendre réseau de chaleur renouvelable et locale, avec une consommation et une production en circuit court totalement en phase avec les stratégies de décarbonation des territoires. »

Des sources d’énergie différentes selon les territoires

Un point de vue que partage la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) pour laquelle les réseaux de chaleur sont un élément essentiel du mix énergétique français. « Dans un contexte où le réseau électrique est déjà fortement sollicité, un territoire doit être capable d’optimiser ses investissements en matière énergétique en développant des réseaux de chaleur ou du gaz renouvelable », explique Guillaume PERRIN, chef adjoint du département « Énergie » et chef du service des « Réseaux de chaleur et de froid » à la FNCCR. Pour cet expert, « le challenge consiste à massifier une source d’énergie peu chère mais également décarbonée. L’important consiste d’abord à regarder au niveau local quelles sont les ressources énergétiques qui sont disponibles pour voir quels bâtiments peuvent être raccordés. La première source à considérer reste toutefois en priorité la chaleur de récupération produite par des incinérateurs d’ordures ménagères lorsque ce type d’installation se situe à proximité ou dans un rayon d’une dizaine de kilomètres. Le réseau de chaleur, c’est en définitive la maximisation du circuit court énergétique. » Les collectivités ont mis du temps à étendre leurs réseaux. En effet, pendant de nombreuses années, les textes réglementaires ont davantage poussé à valoriser la chaleur fatale des installations d’incinération des ordures ménagères (UIOM) pour produire de l’électricité via le process de cogénération.

Priorité à la chaleur fatale

Mais la donne a changé. Les pouvoirs publics et l’Ademe incitent les collectivités locales à monter des schémas directeurs, des analyses de gisement et des études d’opportunité afin qu’elles étudient la chaleur fatale à proximité capable d’être récupérée ; et ce, avant même de se lancer dans des projets de réseau fonctionnant à la biomasse ou alimentés par de la géothermie. « La chaleur fatale, ce sont tous les types de chaleurs perdues, et non valorisées autrement, et dont les sources sont très variées, explique Guillaume PERRIN. Hormis la traditionnelle chaleur des UIOM, il existe également la chaleur des métros, celle des crématoriums, des eaux usées, des data centers ou encore celle produite par les cuisines d’un restaurant universitaire. Aujourd’hui en France, près d’une cinquantaine d’installations sont alimentées à partir de la chaleur fatale des eaux usées : il s’agit de petits réseaux de 2 ou 3 km. Ces installations sont intéressantes car elles permettent de couvrir par exemple une zone commerciale. Mais les réseaux qui ont été créés ces deux dernières décennies sont d’abord des réseaux importants situés dans les grandes villes. L’objectif est désormais d’étendre et de massifier les réseaux en place, mais aussi de développer des installations dans les villes moyennes où les zones d’activité sont situées en périphérie des très grandes métropoles. »

Le Smirec veut verdir son réseau

Le Syndicat mixte des réseaux d’énergie calorifique (Smirec), producteur et distributeur de chaleur et de froid depuis 2014 au profit de plusieurs communes d’Île-de-France (La Courneuve, Saint-Denis, Stains, Pierrefitte, L’Ile-Saint-Denis, Aubervilliers, Epinay-sur-Seine et Villetaneuse) est aussi présent aux côtés des offices d’habitation Plaine Commune Habitat et Seine-Saint-Denis Habitat, et de l’EPT (Établissement public territorial) Plaine Commune. Il fournit actuellement du chauffage et de l’eau chaude sanitaire à 68 000 équivalents logements. Il s’agit du second réseau de chaleur d’Île-de-France après celui de la CPCU (Compagnie parisienne de chauffage urbain), et le quatrième en France, avec une production annuelle de 450 GWh. Pour l’opérateur, la tendance est claire : optimiser les moyens de production et raccorder le réseau existant à de nouveaux abonnés grâce à des bâtiments moins énergivores mais aussi créer de nouveaux moyens de production.

Le Smirec va ainsi créer une nouvelle centrale de géothermie qui desservira la zone Villetaneuse/Epinay-sur-Seine/Peyrefitte et qui sera mise en service à l’horizon 2025. Une autre centrale est actuellement en construction à l’est de Saint-Denis qui permettra d’alimenter l’extension de son réseau vers Aubervilliers. Le syndicat est également en discussion pour récupérer la chaleur de l’incinérateur du Syctom de Saint-Ouen. Car pour le Smirec, le challenge est désormais de décarboner la production de chaleur. Si la géothermie est par exemple historique à La Courneuve depuis les années quatre-vingt et la biomasse présente depuis 2010 sur son usine de Stains et de Saint-Denis (en délégation de service public avec Engie Solutions), le Smirec cherche à élever encore son taux d’EnR&R dans son mix énergétique. « Le challenge est de décarboner la production de chaleur en allant vers de nouvelles solutions techniques, assure Laurent MONNET, président du Smirec. Le taux d’EnR&R dans notre réseau est actuellement de 55 % mais il va atteindre 60 % dès cette année grâce à une optimisation de nos moyens de production. Notre ambition est de monter ce taux à 80 % à l’horizon 2030 en développant notamment la géothermie profonde et de surface, la biomasse, mais aussi la chaleur de récupération ainsi que le photovoltaïque afin d’alimenter en électricité des Pac qui sont souvent nécessaires dans nos réseaux de chaleur pour rehausser ou abaisser les températures. Nos réseaux continuant d’être alimentés en gaz, nous cherchons également à nous tourner vers le biogaz, lequel à terme, pourrait être fourni par le méga méthaniseur actuellement en construction sur le port de Gennevilliers. Notre objectif d’ici 2050 est de fonctionner à 100 % en biogaz dans nos installations. » Pour verdir son réseau, le Smirec multiplie les initiatives.

Augmenter le rendement des réseaux

Dans ce cadre, l’innovation est primordiale. Un axe encore émergent en France mais très développé dans des pays comme la Suède porte notamment sur l’optimisation des réseaux existants avec des installations de cinquième génération. Des réseaux au rendement augmenté grâce notamment au pilotage numérique et qui commencent à intéresser fortement des exploitants comme Engie ou Dalkia. « Actuellement, l’innovation en France porte non pas sur l’exploitation des systèmes eux-mêmes mais plutôt sur la production avec par exemple des chaufferies bois. Sur ce plan, on innove beaucoup notamment sur la chambre de combustion, le trajet des fumées, le recyclage, la récupération de chaleur dans les fumées pour avoir un rendement optimisé, confirme Guillaume PERRIN. Concernant le solaire thermique, sa capacité de stockage est aussi regardée de près. La filière connaît un regain d’intérêt pour toutes ces technologies qui se développent positivement. L’objectif contenu dans la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) d’atteindre 20 % de chaleur produite en France à l’horizon 2030 grâce aux réseaux de chaleur ne sera pas atteint et devrait toucher les 10 %. Mais toutes les études sur le potentiel de déploiement des réseaux le montrent : il est tout à fait possible dans certaines régions de multiplier par dix le nombre d’installations existantes. »

Amorce est en phase avec le positionnement de l’Ademe qui prône dans les trois prochaines décennies la création de 1 300 installations supplémentaires et la densification et l’extension de 300 réseaux existants. « Créer 1 300 réseaux demanderait un investissement de 25 milliards à déployer sur les territoires, soit une année de bouclier tarifaire », calcule Alexis GOLDBERG, directeur du marché des réseaux de chaleur pour Engie Solutions. Son entreprise – qui pourrait bien participer à cette conquête – est un acteur important du marché : elle opère plus de 150 réseaux de chaleur dont celui notable de la Compagnie parisienne de chauffage urbain (CPCU) qui fournit à elle seule près de 20 % des livraisons de chaleur en France. L’entreprise gère également 9 réseaux de froid dont le réseau parisien Fraîcheur de Paris (anciennement Climespace) pour lequel le contrat a été renouvelé en 2022 pour une durée de 20 ans. En un mot, Engie Solutions est leader en France puisqu’il fournit 48 % de la chaleur livrée. Présente sur le marché des réseaux de chaleur depuis les années trente, l’entreprise est depuis lors dans une course perpétuelle pour diversifier ses sources d’approvisionnement afin d’alimenter ses réseaux. Avec toujours un focus sur les énergies disponibles localement. C’est le cas de la géothermie en Île-de-France. Un des trois grands bassins français avec le Grand Est et la Nouvelle-Aquitaine qui se prêtent à des solutions profondes à 1 500 ou 2 000 m avec une eau comprise entre 60 et 80 degrés. Lancée dans les années quatre-vingt, la géothermie de surface mais aussi profonde connaît un regain d’intérêt depuis une dizaine d’années. Et sur ce segment, les innovations foisonnent.

Du forage multi-drains en géothermie

Engie Solutions a ainsi testé il y a quelques mois sur un chantier à Vélizy-Villacoublay le forage multi-drains qui permet de maximiser la ressource géothermique grâce à plusieurs forages simultanés. Une première européenne très prometteuse pour l’opérateur, qui s’est également intéressé à la biomasse entre les années 2005 et 2015, et qui se tourne aussi vers la chaleur issue des unités de valorisation énergétiques des déchets. Peu importe la solution technique, l’objectif est toutefois toujours le même : baisser la part des combustibles fossiles dans les réseaux. « Dix ans en arrière, le taux d’EnR&R en France était d’à peine 30 % et a plus que doublé depuis lors, mais des progrès peuvent encore être faits grâce notamment aux réseaux basse température, pronostique Alexis GOLDBERT. Aujourd’hui, le poids carbone moyen d’un réseau de chaleur est de l’ordre de 125 g de CO2 par KWh. À titre de comparaison, sur une ville de 30 000 habitants équipée d’un réseau fonctionnant avec de la géothermie, pour 100 GWh de chaleur livrée, il est possible – par rapport à une solution de référence de type gaz – d’éviter entre 18 000 et 20 000 tonnes de CO2 par an sur 25 à 30 ans. C’est considérable. C’est comme si vous éliminiez 12 000 véhicules qui circuleraient sur une agglomération pendant une année entière. »

En avril 2022, Engie Solutions a mis en service pour la ville de Compiègne une chaufferie biomasse afin de verdir son mix énergétique. Une chaufferie gaz convertie au bois énergie d’une puissance de 14 MW pour alimenter 9 000 logements en chauffage et en Eau chaude sanitaire (ECS) via 16 km de réseaux. Si le taux d’EnR atteint 65 % sur cette installation, l’opérateur vise bien plus haut. Sa future centrale de Châlons-en-Champagne pourrait à terme être alimentée à 100 % en EnR&R. Le réseau de chaleur baptisé « CLOÉ » est long de 34 km, dont une tranche a été mise en service en 2022. Il proposera deux offres de souscription, dont une 100 % décarbonée. Les abonnés auront en effet la possibilité de compléter les 70 % d’énergie de récupération issue de l’unité de valorisation des déchets ménagers du grand bassin châlonnais par 30 % de biométhane agricole. L’investissement de 44,5 millions d’euros permettra à terme de produire 103 GWh par an. L’installation complète sera livrée à l’automne 2023.

Des prix compétitifs

L’association Amorce fait également part de son optimisme quant au futur des réseaux de chaleur en France. La structure associative a fait ses calculs et démontre que depuis le début de la crise énergétique, les réseaux alimentés à plus de 50 % d’EnR ou de chaleur de récupération ont augmenté leurs prix d’à peine 5 % entre 2015 et 2021, là où le gaz a pris 29 % et le fioul 71 % selon une enquête d’Amorce. « En 2021, la France a importé pour 44 milliards d’euros d’énergie, et cette facture pourrait être très largement réduite avec le déploiement des réseaux de chaleur, note Quentin BULOT, chargé de mission sur les réseaux de chaleur à Amorce. Si un logement type passait d’une chaudière individuelle au gaz à un réseau de chaleur qui est à 80 % alimenté en EnR, c’est comme si la famille supprimait totalement l’impact carbone de la voiture familiale parcourant 12 000 km par an. En une décennie, les réseaux sont parvenus à diviser par deux les émissions de CO2 par kWh produit. » Dans sa dernière enquête sur le prix de vente de la chaleur et du froid publiée en février 2022 qui permet de comparer les réseaux selon divers critères notamment techniques, Amorce analyse les données de 2020 en se basant sur un maillage de 833 réseaux de chaleur et 32 réseaux de froid. Sur les 561 réseaux constituant l’échantillon d’analyse statistique, il en ressort que pour l’année 2020, le prix moyen des réseaux de chaleur s’élève à 73,50 €HT/MWh (soit 78 €TTC/MWh).

Le prix de vente moyen des réseaux ma­jo­ri­tai­rement alimentés par des EnR&R est quant à lui très lé­gè­rement supérieur, avec 74,10 € HT/MWh (soit 78,20 € TTC/MWh). Amorce pousse également à une multiplication des réseaux de chaleur avec un objectif de 100 TWh produits à l’horizon 2050. Pour parvenir à convaincre les élus locaux, l’association milite pour le doublement du Fonds Chaleur pour qu’il atteigne rapidement le milliard d’euros (contre 520 millions d’euros en 2023). « Les réseaux peinent à se développer car ils sont absents du discours politique, déplore Rémi CAILLATE, chargé de mission à Amorce. Le débat énergétique se réduit encore trop souvent à l’électricité, alors que les sources pour produire de la chaleur permettent de se passer de cette solution. Aujourd’hui, 46 % de la consommation finale d’énergie en France est en usage chaleur. Les réseaux de chaleur s’ils se déployaient massivement pourraient couvrir ses besoins sans avoir recours à l’électricité qui pourrait être utilisée pour d’autres usages. Pour une collectivité locale, un réseau de chaleur sur son territoire, c’est aussi une manière de reprendre en main son destin énergétique et de protéger les citoyens de la volatilité des prix de l’énergie. »

Le classement automatique : une mesure pour amplifier le raccordement

Une volonté politique qui se concrétise aussi du côté du législateur. Un arrêté du 30 novembre 2022, entré en vigueur le 11 décembre dernier, est ainsi venu redéfinir les conditions et la procédure de classement d’un réseau de chaleur ou de froid. Le texte vise à encourager le développement des réseaux de chaleur ou de froid alimentés avec plus de 50 % d’EnR&R. Cette procédure de classement déjà ancienne remonte aux années quatre-vingt, mais n’avait pas de rapport avec les EnR&R. Elle était alors conduite par les Drire (Directions régionales de l’industrie, de la recherche et de l’environnement), puis confiée à partir de 2009 aux communes passées compétentes dans le classement de leurs propres réseaux. Mais avec à peine 30 installations effectivement enregistrées, la mesure est un fiasco. La procédure subit alors une nouvelle refonte avec la mise en place à partir de 2019 du classement automatique. Une première étape incomplète qui conduira à une seconde modification législative énoncée dans le décret publié en 2022 définissant un périmètre prioritaire dans lequel le raccordement des bâtiments neufs ou rénovés devait obligatoirement être effectué. Les collectivités qui ne classeront pas leur réseau se verront imposer un périmètre par défaut à compter du 1er juillet 2023. Les collectivités locales doivent délibérer pour déclasser leur réseau de manière motivée si elles le souhaitent pour justifier le non-raccordement. Des dérogations seront ainsi permises dès lors qu’un bâtiment disposant d’un système de chauffage avec un taux d’EnR&R supérieur au réseau de chauffage local. Autre critère de dérogation : le coût disproportionné de raccordement du réseau par rapport aux solutions alternatives.

« Le classement prévoit une obligation de rac­cor­dement des bâtiments neufs qui changent leur système de chauffage. Il faut regarder ce classement davantage comme une incitation à étudier si l’opportunité de se raccorder au réseau est intéressante ou non, détaille Laurent CADIOU. Il faut noter qu’au-delà des dérogations sur les incompatibilités des caractéristiques techniques de l’installation et la solution alternative avec un taux d’énergie renouvelable et de récupération supérieur au réseau classé, une autre dérogation a été introduite par le Conseil d’État si le réseau de chaleur fournit une énergie plus onéreuse de façon disproportionnée qu’une autre solution de chaleur, alors l’obligation de raccordement ne s’applique plus. » À noter que cette procédure de classement concerne uniquement les réseaux publics de distribution de la chaleur, soit environ 600 installations en France. « La particularité, c’est qu’on laisse le temps aux collectivités de faire la part des choses car le texte n’a d’intérêt que s’il existe un périmètre auquel on affecte un classement, note de son côté Luc PETITPAIN. Historiquement, moins de 4 % des réseaux étaient classés. Une collectivité peut aussi dire qu’elle ne souhaite pas classer son réseau en présentant un avis motivé, par exemple un équilibre financier à conforter à la suite de nouveaux investissements. »

“Trop souvent, sur le tracé d’un réseau, des ouvrages sortent de terre et ne sont pas raccordés alors qu’il est pertinent de le faire”

La thalassothermie en embuscade

Le classement automatique apparaît ainsi en phase avec l’obligation de remettre les réseaux de chaleur au centre du mix énergétique français pour retrouver de la souveraineté sur l’approvisionnement. « Trop souvent, sur le tracé d’un réseau, des ouvrages sortent de terre et ne sont pas raccordés alors qu’il est pertinent de le faire », juge Cindy MELFORT, chargée d’études « EnR et réseaux de chaleur » au sein du pôle « Réseaux de chaleur et de froid » à la direction territoriale Ouest du Cerema. Le classement permet de booster le développement de la chaleur et du froid renouvelables mais aussi d’asseoir la pérennité des réseaux afin qu’ils restent financièrement viables dans la durée. Les bâtiments seront aussi poussés dans le futur à réduire leurs consommations, ce qui permettra d’augmenter les raccordements sans accroître proportionnellement la puissance fournie par les réseaux de chaleur. Il y a aussi l’enjeu de rentrer dans un cycle vertueux consistant à augmenter le nombre d’abonnés afin de rendre potentiellement plus compé­ti­tif le prix de la chaleur fournie, rendant de fait plus aisée sa commercialisation et donc le raccordement de nouveaux ouvrages sur le tracé. » Afin de contribuer au développement des réseaux de chaleur et de froid, le Cerema vient récemment de mettre en ligne une nouvelle plateforme d’informations à destination des acteurs de l’aménagement et du bâtiment. Dix ans après son lancement, son site Internet « Réseaux de chaleur et de froid » (accessible à l’adresse https://reseaux-chaleur.cerema.fr) fait donc peau neuve et propose un centre de ressources avec des contenus pédagogiques, de l’actualité réglementaire, des guides méthodologiques, des fiches thématiques, des retours d’expérience, des études de cas ou encore des cartographies… Si le Cerema remplit sa mission d’information, il n’en délaisse pas pour autant l’accompagnement des collectivités. Depuis octobre 2021, il participe à un projet européen sur le développement des réseaux de chaleur et de froid en région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Baptisé « Life Heat & Cool », ce projet de recherches qui ira jusqu’en 2026 a déjà livré un premier outil cartographique interactif nommé « Potentiel RCF » qui permet une visualisation du potentiel de déploiement, de création ou d’extension des réseaux et une hiérarchisation des secteurs géographiques les plus opportuns. 📒

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« Énergies locales et renouvelables - Réseaux de chaleur : un levier majeur de la transition énergétique » - Revue Qualité Construction Mars-Avril 2023 de l'AQC