Revue Qualité Construction N°191 - Mars/Avril 2022
Lecture en libre consultation
La dépollution des sols est une difficulté des projets de réhabilitation des friches industrielles. Une démarche méthodique permet d’en mesurer l’étendue et les conséquences, de concevoir des solutions et d’en évaluer le coût et la faisabilité. Revue des méthodes et moyens de diagnostic, de gestion et de traitement des pollutions des anciens sites industriels.
L’absence de toute artificialisation nette des sols en 2050 est un objectif inscrit dans la loi Climat et Résilience promulguée le 22 août 2021(1). Un des moyens pour limiter la consommation de terres naturelles, agricoles et forestières est la réhabilitation des friches de toutes natures. Or bon nombre de friches – particulièrement les sites anciens qui ont vu se succéder différentes activités industrielles –, sont polluées et impropres en l’état à un nouvel usage.
La dépollution des friches répond à trois enjeux majeurs :
la limitation de l’artificialisation des sols (objectif de la loi Climat et Résilience : absence de toute artificialisation nette en 2050)
la protection des populations
la préservation de la ressource en eau.
La dépollution des sols et des bâtiments est une des six étapes de la revitalisation d’une friche industrielle, située après l’intention programmatique et la maîtrise foncière, pendant et après la déconstruction, et avant l’aménagement et la promotion(2). Le diagnostic des sols et des eaux souterraines est le socle qui permet l’élaboration d’un plan de gestion des pollutions. Et sur ce plan, par quoi commencer ?
(1)Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. (2)Lire l’article « Friches : reconquête et réhabilitation », publié dans le n° 187 de Qualité Construction (juillet-août 2021).
Recherche historique et enquête de terrain
Les formes de pollutions d’un site industriel sont potentiellement multiples, par la diversité de nature physique et chimique des polluants et par les milieux affectés : métaux lourds, hydrocarbures, composés aromatiques, amiante, goudrons, molécules polyfluorées, polychlorobiphényles (PCB)… La liste est longue des produits toxiques que l’on retrouve dans les bâtiments, les sols, les eaux souterraines, l’air ou les gaz du sol, voire les végétaux. Le problème est encore plus complexe lorsque les polluants ont migré du lieu d’origine de leur déversement vers d’autres zones du site industriel, voire hors du site. Comme il n’est pas pertinent d’explorer tous azimuts tous les composés chimiques existants, une première étape de recherche historique s’impose pour adapter le champ de recherches au site investigué. Les prestataires qui assistent les maîtres d’ouvrage s’appuient d’abord sur deux bases de données, accessibles sur la plateforme publique Géorisques(3) :
Casias (Carte des anciens sites industriels et activités de services)(4) : anciennement dénommée Basias, elle recense tous les sites industriels abandonnés ou non, susceptibles d’engendrer une pollution de l’environnement. L’inventaire conserve la mémoire de ces sites sur la base des archives historiques, de visites de sites et de cartographie ;
et Basol(5) : base de données des sites et sols pollués ou potentiellement pollués, qui appellent une action des pouvoirs publics, à titre préventif ou curatif.
Cette recherche historique est complétée par une véritable enquête de terrain, comme l’explique Grégory LANFREY, référent technique Sites et sols pollués du bureau de contrôle Alpes Contrôles : « La visite de la friche vise à comprendre le fonctionnement du site industriel. Où sont les zones de stockage, les transformateurs électriques et les cuves enterrées ? On recherche les traces des anciennes installations, les signes d’imprégnation des sols par les fuites des fûts ou des machines, tout indice de suspicion de pollution. On peut interroger le voisinage : souvent, des retraités du site y habitent. Les plans d’évacuation affichés aux murs et les archives en place dans les tiroirs aident à localiser les installations. Pour les sites désaffectés, nous recherchons les anciens salariés par les réseaux sociaux. En parallèle, une étude historique est menée. Certaines photos aériennes de l’IGN remontent jusqu’à 1910. L’évolution du bâti est visible sur la succession des photos en 1910, 1920, 1940… Les archives municipales et départementales, ainsi que celles de la Dreal pour les installations classées, peuvent fournir des dossiers d’autorisations avec des descriptifs, des plans de masse. On interroge les bases de données publiques Basias et Basol, les préfectures et les Dreal. »
Après les recherches historiques et l’enquête de terrain, place au diagnostic. « Avec la synthèse de ce socle de connaissances documentaires et historiques, complète Grégory LANFREY, il est nécessaire de connaître le projet d’usages futurs du site pour orienter la stratégie d’investigation. La sensibilité est différente si le site retrouve un usage industriel ou s’il accueille une crèche avec des jardins. Il est plus difficile de cadrer le diagnostic quand l’opérateur n’a pas d’idée précise du projet. Dans ce cas, on se place dans l’hypothèse la plus pénalisante, ce qui va augmenter la densité de sondages. En contrepartie, l’absence de scénario d’aménagement laisse plus de flexibilité, contrairement à un projet figé. »
Une étude de vulnérabilité du site et de son environnement complète la réflexion sur les objectifs et les moyens du diagnostic de pollution. Sur cette base, commente Grégory LANFREY, plusieurs questions se posent : « Y a-t-il une nappe phréatique ? Un plan d’eau avec baignade ? Une diffusion de pollution dans l’eau, dans l’air ? S’ensuit le programme prévisionnel d’investigation qui définit la localisation et la profondeur des sondages, les analyses à effectuer, les composés à rechercher, les prélèvements à effectuer dans les différents milieux en lien avec le sol tels que les eaux, les sédiments, sur les gaz du sol, les légumes, l’air ambiant. La méthodologie nationale de 2017 encadre les investigations à mener quand on a identifié les sources potentielles de pollution(6). »
(6)Méthodologie nationale de gestion des sites et sols pollués de la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) (avril 2017). Document consultable en ligne : https://ssp-infoterre.brgm.fr.
Les 3 étapes de la méthodologie nationale de 2017
La doctrine de l’État en matière de gestion des sites et sols pollués remonte aux années 1990. La France a fait le choix d’une stratégie de gestion de la pollution des sites au cas par cas. Les actions et le niveau de dépollution dépendront de l’usage futur du sol. Pour un parc photovoltaïque au sol, le traitement de la pollution doit aboutir au non-risque environnemental, alors que pour un bâtiment s’ajoutera le non-risque pour les occupants. La méthodologie nationale, actualisée en 2017 par le ministère de la Transition écologique, décrit les étapes successives de la gestion des sites et des sols pollués.
La première étape est le « Schéma conceptuel ». Elle identifie les enjeux et ce qu’il faut protéger : populations, ressources et milieux naturels. Quelles sont les voies d’exposition ? Inhalation ou ingestion de poussières et/ou de polluants volatils présents dans l’air ? Consommation d’eau, de produits alimentaires eux-mêmes pollués ? Les possibilités de migration des pollutions volatiles sont recherchées. Des transferts existent-ils par les dalles béton fissurées, les caves, les canalisations, les conduits ou les cages d’ascenseur ? Le fonctionnement d’une chaudière ou la ventilation peuvent aussi aspirer les gaz du sol vers les locaux.
Cette étape initiale comprend également la recherche historique et documentaire, et la caractérisation des milieux et des pollutions. Le sol est un milieu poreux dans lesquels liquides et gaz peuvent circuler. La migration des polluants dépend de la porosité, de la perméabilité et de la minéralogie du sol. La solubilisation des polluants, leur adsorption, leur biodégradation, leur volatilisation… dépendent de leurs propriétés physico-chimiques et des caractéristiques du milieu : pH du sol, teneur en matière organique, en eau, en bactéries. Le transfert des polluants peut se faire vers les gaz du sol, les eaux souterraines, l’air et les végétaux. Un polluant infiltré dans la porosité du sol va se répartir en plusieurs phases, selon le milieu et des lois d’équilibre : phase pure, phase aqueuse, phase adsorbée, et phase gazeuse. La modification de l’usage d’un sol, par exemple à l’occasion de la destruction d’un bâtiment ou de la mise à nu d’un sol précédemment couvert, peut déstabiliser les équilibres établis. Autre facteur de complexité : la dégradation des polluants. Ces produits peuvent interagir entre eux, et évoluer dans le temps en formant des produits de décomposition parfois plus toxiques ou plus mobiles que le polluant initial. De plus, un même élément peut avoir une dangerosité très variable selon sa forme chimique, sa « spéciation ». Par exemple, le chrome métal non oxydé est inoffensif, alors que l’ion Cr6+ (chrome VI) est mobile et cancérogène.
Dans le milieu souterrain très complexe mêlant solides, eaux, gaz et micro-organismes, des phénomènes actifs de « l’atténuation naturelle » peuvent réduire au fil du temps la masse, le volume et la concentration d’un panache polluant, par convection, dispersion, sorption, ou encore par dégradation chimique ou biologique.
La deuxième étape est la démarche d’évaluation des risques et des impacts, dédiée principalement aux aspects sanitaires. Cependant, s’il y a besoin de prendre rapidement des premières mesures de protection des populations et des milieux, comme le confinement de la zone, la ventilation des locaux, l’interdiction d’usage des eaux souterraines, elles sont alors mises en place sans attendre un diagnostic approfondi. La démarche d’évaluation des risques et des impacts analyse la dégradation des milieux en fonction des données de référence et des conséquences sanitaires potentielles, mais aussi des usages déjà constatés et futurs. Elle vise à distinguer les milieux d’exposition, entre ceux qui ne nécessitent aucune action particulière, ceux qui peuvent faire l’objet d’actions simples de gestion et enfin ceux qui exigent la mise en œuvre d’un « Plan de gestion » des pollutions. Pour élaborer ce plan de gestion, une troisième étape s’impose : le diagnostic précis des pollutions et l’analyse des risques sanitaires résiduels.
Mesurer pour connaître et maîtriser les coûts
« Le diagnostic, c’est le socle, estime pour sa part Daniel HUBÉ, ingénieur Sites et sols pollués du BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières). Plus le diagnostic est approfondi, plus les coûts de gestion seront réduits. Un diagnostic coûte en ordres de grandeur entre 10 000 et 100 000 euros. Les surcoûts de dépollution en l’absence d’études correctes peuvent être dix fois supérieurs. J’ai en tête l’exemple d’un promoteur immobilier obligé de démolir pour pollution un lotissement juste construit, à cause d’un diagnostic mal fait. 95 % des sites à risque le sont par intrusion de polluants en phase gazeuse dans les bâtiments. Une dalle béton ne protège pas des gaz du sol. »
Grégory LANFREY le confirme : « Un diagnostic de sol nécessite au moins un à deux mois, dans un processus de dépollution qui peut prendre plusieurs années. Je conseille aux maîtres d’ouvrage d’anticiper, le plus en amont possible. Le risque de se précipiter est de ne pas appréhender correctement les coûts de dépollution. Réduire les études en disant “On verra bien” ou “Si on cherche la pollution, on va en trouver”, fait courir un gros risque. Par exemple, un bailleur social avait un projet sur une friche avec un garage auto et un immeuble avec sa cuve à fioul enterrée. Le maître d’ouvrage a voulu faire l’économie du diagnostic de pollution autour de la cuve. Mais au début du terrassement de l’immeuble, alerte ! La terre était gorgée d’hydrocarbures autour de la cuve rouillée qui communiquait avec le terrain et la nappe. Conséquence : deux mois de perdus et 400 000 euros de surcoût d’excavation. Un euro investi en études, c’est environ 10 euros d’économies en travaux. »
Comment procéder ? Guillaume MASSELOT, chef de projet SSP du service Friches urbaines et sites pollués de l’Ademe, explique les grands principes de la démarche : « Les études historiques et documentaires orientent vers des zones de suspicion. Le plan d’investigations doit prévoir d’aborder toutes les matrices pertinentes dans les Règles de l’art. Les prélèvements de sols doivent être menés par forage sous gaine pour les pollutions volatiles et leur échantillonnage doit être précautionneux. Les prélèvements d’eau, réalisés dans le sens de dispersion du panache, demandent l’installation de piézomètres, puits en tubes PEHD de 50 mm installés par forage jusqu’à la nappe. Les pollutions volatiles des sols sont capturées via des piézairs : des tubages permettant le pompage des gaz du sol. Adsorbés sur des résines et des charbons actifs, leur analyse sera faite en laboratoire après désorption. Une première campagne donnera des résultats bruts de laboratoire en cinq à quinze jours. La comparaison à diverses valeurs de référence permettra d’identifier les pollutions et la convergence spatiale des impacts sur les différentes matrices. Avec ces résultats, le bureau d’études conduira de nouvelles campagnes d’investigation, pour compléter la recherche des polluants latéralement et en profondeur. » L’objectif est ici de dimensionner les sources de pollution pour orienter au mieux le choix des techniques de dépollution : « Les odeurs, les traces de pollution sont recherchées de plus en plus profond, jusqu’à l’absence de suspicion. Les prélèvements dans les eaux souterraines ou les gaz du sol devront être faits plusieurs fois pour avoir des résultats robustes, car ces matrices sont très évolutives selon la météo et les saisons. »
La validation sanitaire des travaux
Sur le terrain, les préleveurs disposent de détecteurs à photo-ionisation donnant la concentration des Composés organiques volatils (COV) dans l’air. Des appareils portatifs à fluorescence X fournissent un ordre de grandeur de la teneur en métaux d’un échantillon de sol. Ces instruments de terrain ne donnent pas l’identité chimique des polluants et n’ont pas la précision de mesure du laboratoire, mais ils aident à la décision pour la validation sur place de la pertinence d’un prélèvement. La démarche de diagnostic est progressive et itérative : chaque campagne de mesures permet de cibler de plus en plus finement les zones polluées et les polluants.
Les résultats d’analyse s’accumulant, une cartographie, voire une modélisation des pollutions de la friche et de son environnement se dessinent, et des scénarios de gestion s’esquissent. Guillaume MASSELOT détaille l’étape de validation sanitaire des hypothèses de travaux : « À ce stade intervient une approche technico-économique. Comment traiter le plus de pollution possible, en optimisant le volume de sol ? Qu’est-ce qu’on laisse ? Est-ce acceptable au niveau sanitaire au regard des usages futurs ? »
La méthodologie nationale de 2017 est explicite : l’acceptabilité sanitaire des expositions aux pollutions résiduelles doit être vérifiée par une évaluation quantitative des risques sanitaires dénommée « Analyse des risques résiduels » (ARR), en se basant sur des scénarios réalistes ou réellement constatés. Cette ARR prédictive qui valide le plan de gestion, sera reconduite à la réception des travaux pour vérifier l’acceptabilité sanitaire des expositions aux pollutions résiduelles, à partir des résultats des prélèvements après travaux(7).
(7)Au niveau international, les organismes en charge de la santé retiennent comme niveaux de risques calculés acceptables : pour les effets à seuil, le quotient de danger QD théorique inférieur à 1 ; pour les effets sans seuil (cancers), l’excès de Risque individuel théorique (ERI) doit être inférieur à 1.10-5.
Plans de gestion et de conception des travaux
À ce stade, le bureau d’études conseille le maître d’ouvrage sur le « Plan de gestion » à adopter. L’outil SelecDEPOL permet de balayer les possibilités techniques de dépollution. À l’heure du choix entre deux ou trois techniques théoriquement pertinentes, le bilan coûts/avantages de chaque technique est déterminant. Grégory LANFREY (Alpes Contrôles) constate une évolution des critères de choix des maîtres d’ouvrage : « Ce n’est plus le moins cher. Aujourd’hui, il y a une analyse multicritère sur le rendement, le coût, les contraintes techniques, juridiques, sociales, environnementales, sur l’énergie, le bilan carbone… On évalue une enveloppe au regard du coût du plan de gestion proposé. »
Le choix des techniques une fois arrêté et décrit dans le plan de gestion, reste une étape préalable à la consultation des entreprises, à la passation des marchés de travaux et à l’exécution des travaux. En effet, tous les experts des Sites et sols pollués (SSP) reconnaissent que pour éviter le risque d’un échec industriel, une phase de tests de faisabilité est nécessaire avant d’entreprendre des travaux de dépollution d’un site important. Sans cette phase préalable, on prend le risque de déploiement de gros moyens sans assurance que la technique choisie fonctionne réellement sur le site.
« Par exemple, explique JulienGRANDCLÉMENT, responsable du laboratoire du pôle Expertise en dépollution de l’entreprise Colas Environnement, la déchloration des solvants chlorés comme le perchloréthylène ou le trichloréthylène passe par l’étape chlorure de vinyle, composé plus toxique encore. Il faut que la réduction aille jusqu’à l’éthène puis, au final, à l’eau et au gaz carbonique. Si l’on a choisi d’opérer cette déchloration en stimulant les bactéries indigènes du sol, il faut être certain que la chaîne de réactions biochimiques ne se bloque pas au stade chlorure de vinyle. C’est pourquoi le ministère de la Transition écologique a complété en 2019 la méthodologie nationale de 2017 en introduisant l’obligation d’un Plan de conception des travaux, basé sur des essais pilotes en laboratoire et sur le terrain, suivant la norme NF X31-620-3. Ces essais permettent aussi de fiabiliser le plan de gestion pour la consultation des entreprises. L’intérêt pour les entreprises est de pouvoir proposer leurs propres solutions en complément des études déjà réalisées. Et cela sécurise le coût pour le maître d’ouvrage. On commence par les essais en laboratoire. Si la technique marche en laboratoire, on passe à l’essai pilote de terrain, pour en plus faire le dimensionnement des moyens. Par exemple, pour la technique de désorption thermique des composés volatils, les essais en laboratoire vont déterminer la température cible de volatilisation pour chaque composé, et évaluer l’efficacité et le coût. Puis, sur site, le test de désorption permettra de déterminer le rayon de chauffage, la profondeur, la conduction thermique du sol pour une puissance calorifique donnée. »
Les essais pilotes du Plan de conception des travaux (PCT) sont réalisés par différents prestataires : les laboratoires indépendants, les bureaux d’études, ou encore les laboratoires des entreprises de travaux. En 2019, l’État a comblé par le PCT le fossé méthodologique entre le plan de gestion et la phase travaux. Pourtant, bien avant cette date, des entreprises réalisaient déjà des essais pilotes. Comme en témoignent deux représentants de l’entreprise Valgo, Laurent THANNBERGER, directeur scientifique, et Karine DUMAS, directrice régionale Dépollution : « Valgo ne détient pas de décharge, donc nous cherchons depuis toujours à privilégier les solutions de dépollution in situ ou sur site, pour n’enlever que le polluant, pas le sol. Valgo faisait donc du PCT depuis longtemps, car le sol est une matrice très variable, dans toutes les dimensions. Il faut tester, être au plus proche de la réalité, car, quand on compare les techniques, ce n’est pas toujours la même qui gagne. Le Plan de conception des travaux permet la levée de doutes, une simulation avant de prendre des engagements, un dialogue entre le bureau d’études qui porte le plan de gestion et les entreprises de travaux, qui peuvent ouvrir sur des variantes. Suivant la technique testée, les essais pilotes en laboratoire durent environ trois semaines. Et sur site, ils peuvent durer de quelques semaines à plusieurs mois, car ils imitent en miniature la technique réelle. »
Plusieurs techniques de dépollution
Pour répondre à la complexité des pollutions des friches industrielles, de nombreuses techniques de dépollution existent : 29 sont codifiées dans la norme NF X31-620. Elles sont adaptées au traitement des sols et des eaux souterraines. Elles se répartissent en quatre types de procédés : biologique, physico-chimique, thermique et immobilisation (des polluants).
Les traitements biologiques utilisent principalement la capacité de certaines bactéries à casser par oxydation des liaisons C-C et C-H de molécules organiques comme les hydrocarbures, ou encore à enlever des atomes de chlore à des hydrocarbures halogénés (réduction). En général, ces bactéries sont déjà présentes dans le sol pollué, au contact des molécules auxquelles elles se sont parfois naturellement adaptées. La technique de dépollution vise alors à stimuler la croissance de la population bactérienne en lui apportant une humidité optimale, des nutriments, de l’oxygène pour les bactéries aérobies, ou au contraire en consommant l’oxygène du milieu pour favoriser les bactéries anaérobies. Le milieu peut également être ensemencé par ajout de bactéries sélectionnées (bio-augmentation). En surface du sol, des végétaux peuvent avoir ces actions de dégradation sur les polluants grâce à leurs racines et aux micro-organismes bactériens et fongiques qu’elles hébergent (phyto-rhizodégradation).
Les procédés physiques visent à épuiser le gisement de polluants en l’extrayant du milieu, pour ensuite le collecter et l’évacuer du site. La ventilation forcée des gaz du sol (venting) est très employée pour extraire les produits volatils accumulés dans la porosité de la matrice du sol. L’excavation du sol et la confection d’un tertre ventilé sur le site facilite la mobilisation des polluants par la déstructuration de la matrice, qui peut être naturellement très peu perméable. On ne dépollue pas de la même façon le même polluant dans un sol sableux ou dans un sol argileux. La ventilation forcée est également employée pour les eaux souterraines que l’ont fait buller (air-sparging). Les polluants liquides purs ou dissous dans l’eau sont pompés en surface de nappe plus ou moins sélectivement (écrémage de fond de fouille) ou par puits de pompage. Les procédés chimiques visent à décomposer les polluants en molécules moins toxiques ou à modifier leur forme chimique. Les réactifs oxydants ou réducteurs sont soit injectés directement dans le sol ou les eaux souterraines, soit les terres sont excavées et les eaux pompées pour être traitées chimiquement sur le site ou hors-site. Les traitements thermiques visent à dégrader le polluant par la chaleur, ou à le volatiliser pour faciliter son extraction du milieu par venting. Par exemple, la désorption thermique est adaptée aux solvants chlorés. Pouvant fonctionner à moins de 100 °C, elle accélère leur volatilisation. Le chauffage du sol est réalisé par gaz, résistance électrique ou vapeur d’eau. Dans le cas de molécules très stables comme les PCB (polychlorobiphényles), seule l’incinération en incinérateur spécialisé peut les détruire, après leur extraction du sol.
Enfin, l’immobilisation des polluants sur place est très pratiquée. Le principe du confinement est de créer in situ un stockage pérenne et étanche, qui empêche tout transfert de polluants vers les terres, eaux et végétaux environnants. C’est d’autant plus simple à réaliser que le polluant est chimiquement et physiquement stable, comme de nombreux métaux et métalloïdes. Peu mobiles, ces polluants diffus pourront être protégés du lessivage par les infiltrations d’eaux pluviales en étant recouverts par une couche imperméable, par exemple le bitume d’un parking ; solution qui est insuffisante pour les hydrocarbures, dont les émanations gazeuses vont impacter l’atmosphère et le sous-sol environnant. L’immobilisation est intéressante quand de nombreux polluants sont mélangés. Elle nécessitera la réalisation d’alvéoles étanches, ou de sarcophages, ou encore des injections de ciment ou de résines pour créer un monolithe inerte.
Dépolluer in situ, sur site et hors-site
La dépollution des sites et sols pollués peut être mise en œuvre in situ, sur site ou hors-site. L’application des procédés de dépollution in situ, sans excavation des terres ni pompage des eaux, présente plusieurs avantages. On ne déstructure pas le sol, qui conserve sa portance. Le terrassement est évité, avec ses nuisances (poussières, bruit…). Autre intérêt : pas besoin de surfaces de stockage de terres. Les eaux souterraines peuvent aussi être traitées in situ, par injection de réactifs chimiques, d’air (sparging) ou stimulation biologique. Finalement, le traitement in situ est plutôt moins onéreux, avec le meilleur bilan carbone, mais les techniques employées demandent plus de temps pour agir. Selon l’Ademe, à qui l’État a délégué depuis 1998 la maîtrise d’ouvrage de missions de mise en sécurité de 400 sites à responsables défaillants, les terres issues de SSP traitées in situ représentent entre 10 % et 45 % des 4 à 8 millions de tonnes de terres issues de SSP gérées par an en France par l’ensemble des opérateurs. L’ordre de grandeur du coût des techniques in situ est de 15 à 50 euros la tonne pour le venting, 70 à 150 euros la tonne pour le procédé thermique et 50 à 60 euros la tonne pour le confinement.
Le traitement sur site consiste à excaver les terres pour réaliser un tertre sur place avec un réseau d’insufflation, de collecte des gaz, de chauffage… Une fois dépolluées, les terres seront réemployées sur le site. Une variante est le lavage des terres sur le site. Laurent THANNBERGER (Valgo) décrit la technique : « Le lavage de sol est adapté aux sols de type alluvionnaire, qui contiennent moins de 20 % de fines. Les fines de moins de 80 microns concentrent les hydrocarbures et les métaux. Avec une installation de même type qu’en carrière de sable, on procède par lavage au tri et à l’élimination des fines. Graviers et sables sont séparés et valorisés sur place comme matériaux de construction. Dans une démarche d’économie circulaire, on recycle le sol en créant des matériaux de construction en circuit court, en évitant de la prédation sur le milieu naturel. Le bilan matière et environnemental est très intéressant. Mais cela demande d’installer sur place une mini-usine, et beaucoup de technicité pour produire par jour quelques dizaines à quelques centaines de tonnes de matériaux et ajuster les techniques de séparation. Presque la totalité (90 %) de la masse de sol peut être réemployée. »
La dépollution sur site des eaux souterraines consiste à les pomper, les traiter par une installation sur place, et à les réinjecter dans la nappe ou un exutoire adapté. Selon les années, les terres traitées sur site représentent entre 5 % et 16 % du volume total traité (source : Ademe). Le coût de la biodégradation sur site se situe entre 30 et 80 euros la tonne, et celui du thermique sur site entre 60 et 120 euros la tonne.
Le traitement hors-site des terres issues de sols pollués ou de friches consiste à excaver les terres et les transporter en camions soit vers une installation de stockage (décharge), soit vers une plate-forme de traitement. Sur une friche, il y a des terres inertes ou non dangereuses qui pourtant doivent être enlevées, par exemple pour laisser place aux réseaux, fondations, sous-sols… À moins d’être réemployées sur d’autres chantiers, elles partent en Installations de stockage de déchets inertes (ISDI) ou non dangereux (ISDND). Les plus polluées partent en Installations de stockage de déchets dangereux (ISDD) ou en centre d’incinération spécifique.
En plateforme hors-site de traitement, les terres sont dépolluées par les procédés biologiques, physico-chimiques et thermiques. Les terres gérées hors-site, y compris les terres inertes non polluées, représentent entre 45 % et 83 % du volume annuel issus de sites pollués. Les coûts de mise en décharge (hors transport et taxes) varient entre 5 et 10 euros la tonne en ISDI, entre 50 et 70 euros la tonne en ISDND et entre 120 et 150 euros la tonne en ISDD. Sur une plate-forme, le traitement biologique coûte entre 60 et 80 euros la tonne, et le thermique entre 80 et 130 euros la tonne.
Du fait de l’excavation de volumes importants, des tonnages transportés et mis en décharge ou en plate-forme, la démarche de gestion hors-site des terres polluées est généralement plus coûteuse et présente le pire bilan environnemental à cause des transports et de la production de déchets. De plus, l’excavation est limitée en profondeur et compliquée par les réseaux existants. Malgré ces inconvénients, le traitement hors-site est très pratiqué car il libère rapidement le site pour les travaux d’aménagement. Là encore, l’absence d’anticipation et le manque de temps s’avèrent coûteux. Parfois, il n’y a pas d’autre choix envisageable, en cas de besoin d’évacuation de terres (parking souterrain), d’impossibilité technique de traitement in situ ou sur site, de multicontaminations ou de pollution concentrée.
Depuis l’Antiquité (avec ses mines de plomb) le constat est le même : mettre les polluants sous le tapis fait payer la facture financière, sanitaire et environnementale aux générations suivantes. L’environnement ne peut pas indéfiniment absorber nos pollutions. 📒