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Changement d’usage – Les bureaux vacants, nouveau gisement pour créer des logements ?

Revue Qualité Construction N°196 - Janvier/Février 2023
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Le déficit de logements en zones urbaines tendues conduit à chercher toutes les solutions possibles et notamment transformer les locaux tertiaires vacants en logements. Si plusieurs lois récentes ont assoupli les contraintes juridiques qui pesaient sur ce type de transformation, il n’en reste pas moins des freins persistants et des sujets techniques coûteux. Quel est le gisement potentiel de bureaux vacants ? Quelles stratégies adopter pour décider et permettre la transformation de tels bâtiments ? Retour sur quelques opérations qui illustrent les enjeux et les pratiques de cette dynamique émergente…

Selon l’Institut Paris Région (IPR), le nombre de mètres carrés de bureaux vacants a quasiment doublé en Île-de-France depuis la crise de la COVID-19 et la reconversion de ces bâtiments en logements demeure « un potentiel encore sous-exploité » : « La montée en puissance du télétravail et, son corollaire, la diffusion du flex office (espaces de travail “flexibles”, sans places fixes attribuées aux salariés), entraînent un ajustement de l’occupation des actifs. Les entreprises optimisent leurs stratégies immobilières, ce qui se traduit par une augmentation de la vacance sur le marché des bureaux francilien : celle-ci est passée de 2,6 millions de mètres carrés fin 2019 (soit juste avant la crise) à environ 4,4 millions de mètres carrés à la mi-2022. »

De plus, d’année en année, le taux de vacance structurelle, correspondant à des bureaux inoccupés depuis plus de quatre ans, augmente : il était de 18 % en 2012 et s’établissait à 31 % en 2017. Or, à l’inverse, « l’Île-de-France fait partie des régions où la proportion de logements vacants est la plus faible : 6,5 % en 2018. » La forte demande en logements conjuguée au nombre élevé de bureaux vacants encourage donc à envisager la transformation de bureaux en logements.

Fin 2020, comme l’indique l’Apur (Atelier parisien d’urbanisme), 18 600 logements étaient « durablement vacants à Paris » (c’est-à-dire depuis plus de deux ans), soit 1,3 % du parc parisien. À ce chiffre, on peut ajouter ceux des résidences secondaires et des locations saisonnières : « Au total, les logements inoccupés représentent 17,4 % du parc parisien de logements. »

“Au total, les logements inoccupés représentent 17,4 % du parc parisien de logements”

Multiplier par 4 le nombre de transformations

Si les différentes crises économiques ont porté des coups rudes au marché de l’immobilier de bureaux ces dernières années et invitent à transformer ces locaux en logements, Patrick RUBIN, architecte et co-fondateur de l’Atelier Canal architecture, ajoute deux autres facteurs : « L’urgence écologique et l’issue incertaine de l’épisode sanitaire mondial », qui « malmènent nos attitudes, et font bouger les lignes de nos certitudes. » Éric SIESSE, directeur général adjoint en charge du pôle « Bureaux location » chez BNP Paribas Real Estate le confirme : « Les marchés locatifs des bureaux en France, et particulièrement en région Île-de-France, ont sans surprise été durement touchés par la crise sanitaire. » Les habitudes de travail ont par la suite changé et – comme le rappelle la note récente de l’Institut Paris Région (voir la note [1] en page 51 de l’article complet) –, la généralisation du télétravail a réduit la demande de surfaces de bureaux.

En France, entre 2013 et 2021, « 45 076 logements autorisés sont issus d’une transformation de bureau », soit environ 5 300 logements par an. « Malgré la crise sanitaire et ses effets sur la construction, une légère tendance à la hausse se confirme en 2020 […]. Si de fortes disparités se font jour, le phénomène prend de l’ampleur dans certains départements, pour une contribution non négligeable (jusqu’à 12 % des logements autorisés à Paris). » En 2018, « 417 000 m2 de logements issus de la transformation de bureaux ont fait l’objet d’une demande de permis de construire, dont 110 000 m2 dans l’agglomération parisienne. » Cela est peu par rapport au volume de bureaux disponibles mais le souhait du Gouvernement, d’ici dix ans, est de « multiplier par 4 le nombre de transformations de bureaux en logements, soit 1,4 million de m2 chaque année » et créer « une filière à part entière, et sans doute une filière d’excellence française ».

“Deux tiers des logements issus de reconversions sont situés à Paris et en petite couronne.
Paris est de loin le département francilien le plus actif, pesant à lui seul pour un tiers de cette production […]”

Une analyse au cas par cas

Tout ne peut pas être rénové ou transformé. Ainsi, Cécile GRANIER, directrice « Pôle conseil et expertise » chez Artelia Bâtiments Île-de-France, estime que « transformer a un vrai sens dans les zones tendues, surtout lorsque le PLU (Plan local d’urbanisme) est plus contraignant sur les constructions neuves en termes de hauteur admissible ». L’Institut Paris Région va dans ce sens et confirme qu’en France, « deux tiers des logements issus de reconversions sont situés à Paris et en petite couronne. Paris est de loin le département francilien le plus actif, pesant à lui seul pour un tiers de cette production, avec en particulier un nombre important d’opérations recensées depuis 2013 dans les XIXe (770 logements autorisés en 18 opérations), XXe (679 logements, 21 opérations), XIIIe (606 logements, 10 opérations) et XIVe (536 logements, 15 opérations) arrondissements. » Les deux tiers restants étant réalisés dans les sept départements de la petite couronne. Sur un plan administratif, la transformation est soumise à permis de construire dès lors que l’on touche aux structures porteuses ou à la façade de l’immeuble. Dans les autres cas, une simple déclaration préalable est nécessaire.

D’autres paramètres sont aussi à prendre en compte tels que les services publics associés à la résidence projetée. Cécile GRANIER cite un exemple rencontré : « Des logements prévus pour accueillir des familles impliquent pour la mairie des écoles à construire, ou tout du moins à agrandir, et cela peut s’avérer problématique. Pour y répondre, la solution du co-living est intéressante et répond à un besoin, mais concerne principalement les étudiants et les jeunes actifs aisés. » Toujours en matière d’urbanisme et d’insertion d’un projet de reconversion dans un quartier, la présence de transports en commun à proximité n’empêche pas toujours l’obligation de création de parkings en cas de changement de destination d’un bâtiment : les exigences sont variables suivant les PLU et peuvent parfois être difficiles à satisfaire. Enfin, l’approche ne sera pas la même, voire impossible, si une seule partie d’un bâtiment est vacante. Les nuisances de chantier liées à la transformation d’un étage peuvent en effet gêner tous les autres étages pendant des mois et rendre le projet impossible, ou tout du moins difficilement acceptable.

Côté architecture, la largeur des immeubles de bureaux conditionne également les possibilités de transformation. « Jusqu’à environ 13 m de large, affirme Patrick RUBIN, une double orientation au soleil et une ventilation sont possibles, permettant des logements traversants, mais dès lors qu’un bâtiment fait 18 m de large ou plus, aucune lumière ne peut entrer dans la totalité des surfaces. Dans le cadre du projet de la rue Mouzaïa à Paris, des solutions intermédiaires ont pu être trouvées pour reconvertir cet immeuble d’environ 15 m de large. »

“Jusqu’à environ 13 m de large, […] une double orientation au soleil et une ventilation sont possibles, permettant des logements traversants, mais dès lors qu’un bâtiment fait 18 m de large ou plus, aucune lumière ne peut entrer dans la totalité des surfaces”

De nombreuses problématiques à résoudre

Moins visible, mais tout aussi important, « l’acoustique, notamment vibratoire, est un vrai sujet, avec par exemple les logements situés à proximité des gares et des passages de tramway », détaille Cécile GRANIER, posant à la fois la question de la localisation des opérations mais aussi des techniques de protection acoustique le cas échéant. En effet, dans le parc tertiaire, seuls les établissements d’enseignement, de santé et les hôtels doivent respecter des exigences en matière de confort acoustique, ce qui n’est pas le cas des bureaux. Au niveau de la structure, les charges admissibles sont définies dans les Eurocodes, en fonction du type de bâtiment (voir tableau n° 1 sur les charges d’exploitation Eurocodes dans l’article complet). Sur ce sujet, Patrick RUBIN fait ce constat : « L’activité des bureaux générait auparavant beaucoup de papier que le numérique remplace peu à peu, avec à la clé un gain en termes de poids à supporter par les structures des bâtiments. »

En termes d’investissement, Cécile GRANIER s’interroge : « Où mettre la barre ? Combien d’argent met-on dans les fondations pour permettre à un bâtiment de faire évoluer ses usages dans le temps ? C’est possible dans le cas de fondations superficielles, en présence d’un bon sol, mais moins évident dans le cas de fondations profondes, nécessairement plus coûteuses. » Elle alerte aussi sur le fait qu’« on oublie souvent les coûts du désamiantage et de la déconstruction, car ils ne sont pas pris en compte de la même façon dans le bilan du promoteur ». Les parties communes des immeubles de logement font aussi réduire la rentabilité des projets comparativement aux surfaces de bureaux, moins gourmandes en espaces communs. La même problématique de foncier apparaît avec le fait que « les ménages désirent des ouvertures, des espaces de vie extérieurs. Or les bureaux n’en prévoient pas du tout. Ce qui veut dire que pour insérer des balcons, il faut refaire toutes les façades », explique Norbert FANCHON, président du Groupe Gambetta.

À ne pas négliger non plus dans l’équation : les valeurs locatives des surfaces de bureaux, qui ne sont pas calquées sur celles des logements et peuvent inciter à transformer suivant les zones considérées. À titre d’exemple, le loyer annuel moyen d’un bureau à La Défense est de 940 €/m2 au premier trimestre 2022.

La loi Elan prévoit ainsi un bonus de constructibilité pour inciter les maîtres d’ouvrage à transformer les bureaux existants vacants en logements. En parallèle, les bureaux sont soumis à une taxe spécifique en Île-de-France, qui doit être payée même quand les locaux sont inoccupés. Ces incitations à la transformation doivent bien entendu être recoupées avec les contraintes techniques, notamment la portance admissible du sol et des fondations en place.

«  Ne plus détruire  »  : soigner l’existant

« Comme on va vers la sobriété, trouvons les outils pour ne plus détruire », insiste Patrick RUBIN. Il poursuit : « Diagnostiquons, réparons, regardons avec agilité, tel des acrobates. » Ceci est vrai pour les espaces de travail mais aussi pour les espaces de stationnement qui peuvent être mutualisés : un parking qui sert le jour à des travailleurs venant en voiture (ou à vélo) peut servir la nuit à des personnes habitant à proximité de ces mêmes bureaux. Les infrastructures de transport, existantes ou à créer, ont un impact fort sur l’utilisation à la fois des immeubles et des espaces publics, comme c’est le cas par exemple à Saint-Ouen et Clichy mais aussi avec le prolongement du RER E vers l’ouest parisien.

Enfin, les maîtres d’ouvrage doivent être sensibilisés à une meilleure connaissance de leurs bâtiments, en premier lieu avec un archivage de qualité des plans et autres documents relatifs au bâti. La loi Elan prévoyait la mise en place d’un carnet numérique pour que les propriétaires aient à leur disposition « l’ensemble des documents concernant la conception et la maintenance de leur logement et de leur bâtiment au fil des années », mais celui-ci n’a pas été ratifié. Actuellement, un carnet d’information du logement est prévu par la loi « Climat et Résilience » (article n° 167) mais concerne uniquement les performances énergétiques du logement, pas les informations structurelles et leur potentielle modification. En ce sens, l’article n° 224 de la même loi deviendra utile et formera un complément indispensable à ce carnet pour transformer efficacement des immeubles de bureaux. Plus généralement, œuvrer à une cartographie dynamique des stocks de bureaux vacants permettra de cibler plus rapidement les opportunités de transformation.

Ne plus détruire, c’est aussi limiter l’artificialisation des sols et ainsi favoriser, si ce n’est imposer, la reprise et le soin des bâtiments existants. Un moyen pratiqué pour encourager ces interventions consiste à organiser des concours, des Appels à manifestation d’intérêt (AMI) ou bien encore des appels à projets comme « Réinventer Paris ». Ce dernier a par exemple fait naître le projet Morland Mixité Capitale, sur les bords de Seine à Paris : la transformation de l’ancien site administratif de la préfecture de Paris en un programme immobilier comprenant plus de 11 usages dont naturellement des logements. Cécile GRANIER distingue néanmoins la dynamique de ces initiatives avec les fonds directement alloués par les pouvoirs publics à des organismes tels qu’Action Logement, avec sa Foncière de transformation immobilière (FTI), qui « prévoit de mobiliser 1,5 milliard d’euros pour acquérir des bureaux ou locaux d’activité obsolètes, dans le cadre du Plan d’investissement volontaire (Piv) contractualisé avec l’État ».

Autres locaux d’activités…

Parfois, un ancien parking peut être transformé en logements, comme c’est le cas avec l’opération conjointe de Nexity et Perl (société à mission) pour le 2e bailleur social parisien, la RIVP (Régie immobilière de la Ville de Paris). Elle consiste en la « réhabilitation d’un actif obsolète pour en faire un ensemble de logements sociaux et très sociaux en plein cœur de Paris », indique Helen ROMANO, vice-présidente de l’immobilier résidentiel de Nexity. 82 logements sociaux seront ainsi construits d’ici 2024 dans un ancien parking, sans nouvelle artificialisation des sols. L’existant est surélevé de trois niveaux pour offrir au total 3 522 m2 de planchers. Ce projet a fait appel à l’expertise de Perl, créateur d’un modèle immobilier fondé sur le partage temporaire de l’usage et de la propriété via l’Usufruit locatif social (ULS), qui « met à contribution l’épargne privée au bénéfice de l’intérêt général », affirme Tristan BARRÈS son directeur général.

Tournée vers l’avenir, la loi « Climat et Résilience » du 22 août 2021 impose (article n° 224) aux maîtres d’ouvrage de tout bâtiment à construire ou à démolir, la réalisation d’« une étude du potentiel de changement de destination et d’évolution » de son bâtiment, mais sans obligation de l’appliquer le cas échéant. Ce point va dans le sens d’une réversibilité des bâtiments. Patrick RUBIN en est convaincu : « La flexibilité d’un espace est au cœur de tout » et l’avenir passera par « une distinction entre la structure, solide, et tout ce qui est volatile, liquide, léger, tels le mobilier, les réseaux, à l’image de grands immeubles habitables que nous poserions sur un pont. » 📒

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