Accueil La Revue Récupérer la chaleur fatale – Un gisement sous-exploité en France
Usine Placo à Val-de-Cognac en Charente (16) pour valoriser l'article « Récupérer la chaleur fatale – un gisement sous-exploité en France » de l'AQC

Récupérer la chaleur fatale – Un gisement sous-exploité en France

Usine Placo à Val-de-Cognac en Charente (16) pour valoriser l'article « Récupérer la chaleur fatale – un gisement sous-exploité en France » de l'AQC
Revue Qualité Construction N°210 - Mai/Juin 2025
Lecture en libre consultation

Capter et transporter les calories perdues pour les valoriser sous forme thermique voire électrique est une option énergétique aujourd’hui techniquement mûre. Les projets se multiplient pour profiter d’une source renouvelable qui ne gagne qu’à être récupérée. Mais les sources d’énergie restent à optimiser. À l’heure de la sobriété carbone du secteur de la construction, capitaliser sur la chaleur perdue est aussi un enjeu majeur de souveraineté énergétique.

La chaleur de récupération (ou chaleur « fatale ») est « générée par un procédé dont l’objectif premier n’est pas la production d’énergie et qui n’est pas nécessairement récupérée », selon la définition didactique du ministère de la Transition écologique. En clair, cette énergie résiduelle produite lors de divers processus est perdue si elle n’est pas immédiatement utilisée. Un gâchis. L’objectif consiste donc à récupérer une chaleur qui existe pour favoriser son exploitation sous forme thermique, voire électrique. Soit directement sur son lieu de captage comme une unité industrielle, soit en la redistribuant à des consommateurs externes, que ce soit dans le tertiaire, l’industrie mais aussi dans le logement en la transportant par différents moyens, notamment via des réseaux de chaleur. Les gisements – aussi appelés « sources » – sont considérables, et, quasiment, à portée de main.

“Que ce soit l’industrie, les usines d’incinération, les stations d’épuration des eaux usées ou encore les data centers, les calories produites qui pourraient être récupérées sont considérables”

Des calories à foison

Que ce soit l’industrie, les usines d’incinération, les stations d’épuration des eaux usées ou encore les data centers, les calories produites qui pourraient être récupérées sont considérables. Gaspiller n’est donc plus de mise. Selon les chiffres de l’Ademe, l’industrie dispose à elle seule d’un potentiel de chaleur fatale de 109,5 TWh, soit 36 % de sa consommation de combustibles, dont 52,9 TWh sont perdus à plus de 100 °C. À ce gisement s’ajoutent 8,4 TWh de chaleur rejetés au niveau des Unités d’incinération d’ordures ménagères (UIOM), des Stations d’épuration des eaux usées (Step) et des data centers. Par ailleurs, et toujours d’après l’étude établie en 2017 par l’Ademe dans un document de synthèse qui est en cours de mise à jour, 16,7 TWh de chaleur fatale à plus de 60 °C sont identifiés à proximité d’un réseau de chaleur existant.
L’Ademe a clairement cerné les gisements de chaleur fatale dans différents secteurs. Dans l’industrie, l’agence a ainsi identifié 7 000 établissements dans 130 secteurs et 8 raffineries pétrolières. Les usines d’incinération d’ordures ménagères représentent, quant à elles, 177 sites en France, avec une chaleur fatale principalement issue des fours et des chaudières.

Le trésor des data centers

241 data centers ont été cartographiés par le Cerema. En 2020, le potentiel de chaleur fatale récupérable principalement de la chaleur générée par les serveurs se situait aux alentours de 1 TWh, soit l’équivalent de 100 000 logements. Il pourrait atteindre 3,5 TWh en 2030, soit l’équivalent de la consommation de chauffage de 360 000 logements. « Les projections indiquent que d’ici 2030, la capacité de charge informatique du pays devrait dépasser 1 300 MW, avec une augmentation de la surface de plancher à plus de 4,4 millions de pieds carrés et l’installation de plus de 315 000 racks », note l’opérateur énergétique Idex. Pour rappel, selon RTE (Réseau de transport d’électricité), la part du numérique pourrait représenter près de 10 % de la consommation électrique française dont 18 % pour les seuls data centers, soit environ 6,8 TWh. Le cadre réglementaire est, quant à lui, propice pour accélérer sur la chaleur fatale des data centers. La Directive (UE) 2023/1791 sur l’efficacité énergétique du 13 septembre 2023(1) pose ainsi une obligation de récupération de chaleur pour les installations d’une puissance nominale de 1 MW ou plus. Le texte – qui vise à réduire l’empreinte carbone du secteur numérique – précise toutefois que des dérogations sont admises si cela n’est pas viable techniquement ou économiquement. Le 25 octobre 2012, la Directive 2012/27/UE(1) relative à l’efficacité énergétique poussait déjà à la valorisation de la chaleur fatale, stipulant que les installations nouvelles (ou modifiées de façon notable) de plus de 20 MWh qui émettent de la chaleur fatale et situées à proximité d’un réseau de chaleur, devaient réaliser une analyse coûts-avantages afin d’étudier les possibilités de valorisation dans le réseau. À l’époque, les principaux secteurs concernés sont l’énergie, le traitement thermique de déchets, le verre, la chimie, la sidérurgie, le papier-carton, le ciment ainsi que l’agroalimentaire. Les data centers viendront plus tard, devenant par là même un véritable enjeu stratégique. « Je ne dirais pas que la chaleur fatale est inexploitée mais plutôt qu’elle est à pousser et à développer, rassure Mickael VAUCHER, responsable du développement commercial “Grands comptes” chez Hellio, un acteur de la maîtrise de l’énergie qui travaille notamment sur les stratégies de décarbonation pour les entreprises. Le potentiel est très important dans le secteur de l’industrie agroalimentaire qui a de forts besoins en production de froid et dont les installations pourraient être équipées de systèmes de récupération de calories. »

(1)Pour consulter le texte : https://www.legifrance.gouv.fr.

“La chaleur fatale industrielle possède clairement aujourd’hui le plus gros potentiel que ce soit en TWh mais aussi en qualité de chaleur parce qu’elle se base sur des gisements haute température”

L’industrie, navire amiral de la chaleur fatale

Doté d’une enveloppe de 800 millions d’euros, le Fonds Chaleur a permis de subventionner plus de 8 500 installations depuis 2009, totalisant une capacité de production de 45,4 TWh/an de chaleur renouvelable et de récupération. Des chiffres et des potentiels inscrits dans une géographie énergétique qu’il faut remettre en perspective dans le contexte plus large de la production issue de sources d’énergie renouvelable comme les pompes à chaleur aérothermiques, la géothermie de surface et de profondeur, la chaleur solaire, les réseaux de chaleur, les unités de valorisation énergétique des déchets ou encore les gaz renouvelables. « La chaleur fatale industrielle possède clairement aujourd’hui le plus gros potentiel que ce soit en TWh mais aussi en qualité de chaleur parce qu’elle se base sur des gisements haute température, précise Luc PETITPAIN, chargé d’études “EnR et réseaux de chaleur” au sein du pôle “Réseaux de chaleur et de froid” à la direction territoriale Ouest du Cerema. Les data centers montrent également un potentiel important au niveau national, notamment grâce à de la récupération de chaleur via la technologie de “l’immersion cooling” qui consiste à les plonger dans une sorte d’huile électrique pour refroidir les installations. Si les unités de valorisation énergétique sont un gisement connu tout comme les stations d’épuration, les installations électrogènes – à savoir celles qui produisent de l’électricité via des process thermiques – sont aussi en devenir. Quant aux centrales nucléaires qui permettraient de récupérer de la chaleur fatale basse température autour de 30 à 40 °C, le potentiel se chiffre en centaines de TWh. Mais aucun projet n’a pour l’heure été lancé en France, nous n’en sommes encore qu’au stade embryonnaire. »

Une chaleur renouvelable qui a ses spécificités

D’après la dernière édition 2024 du Panorama de la chaleur renouvelable et de récupération(2) éditée conjointement par l’Ademe, l’AFPG (Association française des professionnels de la géothermie), le Cibe (Comité interprofessionnel du bois-énergie), la Fedene (Fédération des services énergie environnement), le Ser (Syndicat des énergies renouvelables) et Uniclima (le syndicat professionnel des industries thermiques, aérauliques et frigorifiques), la chaleur renouvelable n’a représenté que 27,8 % de la consommation finale de chaleur en 2023 en France métropolitaine. Au total, « ce sont ainsi 173,5 TWh de chaleur renouvelable qui ont été produits sur cette année de référence, alors que pour atteindre l’objectif fixé par la loi de 38 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale de chaleur en 2030, il faut que la dynamique de croissance de la production de chaleur renouvelable s’accélère », notent les auteurs du panorama. La troisième édition de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE 3) fixe du reste un objectif d’injection de chaleur fatale dans les réseaux de 8,75 TWh/an à l’horizon 2028, et de 25 à 29 TWh/an d’ici 2035. En 2021, ce chiffre avait à peine atteint 5,4 TWh/an. Un objectif de multiplication par cinq de la chaleur fatale livrée dans les réseaux qui ne vient pas de nulle part : c’est celui édicté en novembre 2023 par la Stratégie française pour l’énergie et le climat (Sfec) qui est révisé tous les cinq ans. Laquelle comprend comme documents de planification la PPE mais aussi la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) ainsi que le Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC). Difficile donc d’échapper à des enjeux énergétiques désormais stratégiques. Mais la chaleur fatale a des caractéristiques propres qui diffèrent aussi des sources d’énergie renouvelable classiques. En effet, elle se définit d’abord par ses niveaux de température qui dépendent intrinsèquement du process industriel et de la source de chaleur. Ces niveaux peuvent être inférieurs à 100 °C dans le cas d’un data center ou d’une station d’épuration, mais aussi être très supérieurs lorsque les calories sont récupérées d’une chaudière ou d’un four industriel. La chaleur fatale est aussi caractérisée par sa temporalité donc son intermittence ou non, mais aussi par son fluide de chaleur. Elle dépend enfin de sa localisation géographique avec un raccordement plus ou moins aisé de la source au besoin. En définitive, la valorisation de la chaleur fatale est conditionnée par sa température et sa forme d’origine.

(2)Pour télécharger ce panorama : https://fedene.fr, à la rubrique « Actualités ».

Des technologies de récupération diverses et variées

Plusieurs technologies existent aujourd’hui et sont bien rodées. Cegibat détaille par exemple les solutions disponibles. Selon le centre d’expertise de GRDF, le matériel le plus couramment utilisé est l’échangeur thermique, décliné en de nombreuses versions. En fonction des besoins, des enjeux énergétiques et des niveaux de température des puits et sources de chaleur, différentes variantes existent, avec trois cas de figure : l’utilisation directe de la chaleur, souvent avec un système de sto­ckage, la remontée du niveau thermique de la chaleur qui consiste à modifier le niveau de température de la chaleur fatale pour la faire correspondre au besoin, et enfin le changement de vecteur énergétique qui vise à convertir l’énergie thermique disponible en électricité, en énergie mécanique, ou en froid. Ainsi que le précise Cegibat, dans un cas classique, la chaleur fatale n’est pas utilisée directement : elle comporte très souvent des caractéristiques qui font que les calories sont récupérées indirectement, au moyen d’un dispositif non-mélangeur.

La chaleur fatale comporte généralement des résidus comme de la poussière, des polluants, etc. L’installation doit donc permettre de récupérer la chaleur tout en évacuant les résidus. L’échangeur thermique est ainsi le dispositif le plus communément utilisé dans le secteur industriel et sera choisi en fonction de contraintes diverses comme le niveau de température des sources de chaleur, la nature des fluides, le débit des flux ou encore la valorisation thermique souhaitée. Lorsque la chaleur est utilisée sur site, il est souvent nécessaire d’intégrer un système de stockage de chaleur comme un ballon d’eau chaude, de façon à remettre en phase le besoin de chaleur et son captage. Le manque de simultanéité entre les rejets thermiques et les besoins effectifs de chaleur explique ce dispositif. Un système d’appoint de fourniture de chaleur, et donc de relais comme une chaudière, sera par ailleurs mis en œuvre lorsque la chaleur aux bornes de l’échangeur n’est pas suffisante pour assumer le besoin thermique. À l’inverse, et dans le cas où la chaleur récupérée n’est pas consommée directement, une modification du niveau de température sera recherchée pour le faire correspondre au besoin thermique. Pour y parvenir, des Pac (Pompes à chaleur) utilisant un système de Compression mécanique de vapeur (CMV) seront choisies, notamment celles qui fonctionnent à très hautes températures. Autre technologie : la Recompression mécanique de vapeur (RMV) qui permet de valoriser de la chaleur contenue dans les vapeurs issues d’un procédé de concentration ou de séchage qui consiste à remonter en pression et donc en température un effluent vapeur à l’aide d’un compresseur électrique ou thermique.

Des calories converties en kilowatts

Cegibat rappelle que la chaleur fatale peut également être valorisée en la convertissant en électricité au moyen d’une machine ORC (Organic rankine cycle) : cette dernière valorise les calories contenues dans un effluent chaud. Objectif : la valorisation des flux thermiques industriels qui dépassent les 150 °C. « Ce fluide est détendu dans la turbine, entraîne un arbre lui-même relié à un alternateur aux bornes duquel on récupère l’énergie électrique, détaille Cegibat dans une documentation technique. Ensuite, le fluide basse pression est condensé en réchauffant une source froide, puis remonté en pression par une pompe. » Généralement, le rendement global d’une machine ORC se situe entre 10 % et 20 % de la chaleur fatale fournie à l’évaporateur. Autrement dit, pour 100 kWh de chaleur fournie, on peut espérer récupérer entre 10 et 20 kWh d’électricité. Cette électricité produite peut être revendue sur le réseau ou autoconsommée sur le site. « Le choix de la technologie se fera toujours en fonction de la température de chaleur qui pourra être récupérée et le besoin qui en découle derrière, explique Mickael VAUCHER d’Hellio. En récupérant par exemple une chaleur autour de 20 °C pour la réintroduire dans un réseau de chaleur, une Pac sera installée pour atteindre une température de 70 °C qui sera suffisante pour produire de l’eau chaude sanitaire. La question qui se pose donc toujours est la suivante : choisit-on un échangeur pour utiliser les calories à la même température en prenant en compte la perte dans le transport ou met-on un support pour booster la température ? Nous restons sur des technologies onéreuses, bien que travailler sur la récupération de chaleur permette d’avoir un prix stable avec, en sus, une chaleur décarbonée issue de récupération. »

Transformer les calories via des microcentrales

L’industriel Enogia s’est spécialisé depuis 2009 dans la fabrication de systèmes ORC pour transformer la chaleur perdue en électricité, partant du constat que 75 % de l’énergie utilisée par l’humanité finit sous forme de chaleur rejetée dans l’environnement. Enogia a développé des microcentrales électriques de 20 à 180 kW à partir d’un carburant d’entrée, l’eau chaude, d’où la chaleur est extraite pour être transformée en watts. « C’est le principe de la pompe à chaleur qui fonctionne à l’envers. Au lieu d’envoyer de l’électricité pour récupérer de la chaleur, on va envoyer de la chaleur pour récupérer de l’électricité, précise Arthur LEROUX, P.-D.G. d’Enogia. Le fonctionnement est proche de celui des centrales thermiques et nucléaires en France. Au contact de la chaleur qui est contenue dans l’eau chaude, à travers un échangeur, il s’agit de faire bouillir un fluide frigorigène à une pression assez élevée autour de 10 bars puis de l’envoyer dans une turbine où il va se détendre. L’innovation consiste à rendre possible ce basculement de la calorie vers le watt à petite échelle avec quelques centaines de watts, parce qu’à l’échelle de quelques mégawatts électriques, les technologies existent depuis les années soixante-dix. Il s’agit d’être mobiles avec des solutions de micro-turbines transportables dans de simples containers. »

Ces systèmes peuvent utiliser des sources de chaleur entre 80 °C et 1  000 °C, et fonctionnent de manière continue ou flexible selon les besoins. La société a déjà installé environ 200 machines dans le monde, dont une vingtaine en France. Elle est aujourd’hui fortement présente dans l’industrie en autoconsommation. Pour le secteur de la construction, Arthur LEROUX envisage plusieurs applications : « Il est tout à fait envisageable d’imaginer des planchers chauffants en basse température, de raccorder une chaudière biomasse avec une de nos machines comme c’est déjà le cas dans le secteur agricole, ou encore, de faire des logements collectifs capables de générer eux-mêmes leur propre électricité. » La rentabilité dépend du coût de l’électricité, qui reste relativement bas en France. Enogia travaille ac­tuel­lement avec Saint-Gobain dans le nord de la France pour installer une machine dans une usine de fabrication de verre plat.

“Le principe de récupération de chaleur sur les stations d’épuration s’apparente à de la géothermie basse énergie qui consiste à plugger une Pac sur une source basse température en récupérant les calories via un fluide frigorigène”

La valorisation des eaux usées attend son heure

Afin de cartographier les potentiels de développement des réseaux de chaleur et de froid, le Cerema a lancé en 2023 le projet EnRezo(3) qui permet d’identifier les gisements de chaleur fatale en France métropolitaine et dans les Territoires d’outre-mer (TOM). Il s’agit de la continuation du projet européen Life « Heat&Cool » qui a permis de développer un premier outil baptisé « Potentiel RCF »(4) sur la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Le Cerema s’est aussi intéressé à l’énergie des eaux usées, en se limitant aux stations d’épuration, et en excluant les eaux en station de relevage ou en pied d’immeuble. Dans une étude sur le potentiel de chaleur fatale pouvant alimenter des réseaux thermiques existants ou futurs, l’établissement public a répertorié plus de 20 000 Stations de traitement des eaux usées (Step) dont l’énergie pourrait être valorisée, soit par le séchage et l’incinération des boues, soit par récupération de la chaleur des eaux usées grâce à la cloacothermie. Toutefois, il convient de noter que toutes ces installations ne présentent pas nécessairement un potentiel exploitable.
La valorisation des eaux usées s’effectue en deux étapes principales : un échangeur thermique est posé dans la partie inférieure des égouts pour récupérer les calories qui sont ensuite transportées grâce à un réseau caloporteur jusqu’à une pompe à chaleur. Cette Pac prend en charge le chauffage ou le préchauffage de l’eau qui alimente le réseau de chauffage du bâtiment. « Le principe de récupération de chaleur sur les stations d’épuration s’apparente à de la géothermie basse énergie qui consiste à plugger une pompe à chaleur sur une source basse température en récupérant les calories via un fluide frigorigène, détaille Luc PETITPAIN, un des rédacteurs de l’étude thématique du Cerema intitulée “Potentiel de récupération de la chaleur fatale des stations d’épuration sur les réseaux de chaleur et de froid(5). Les eaux circulant dans les réseaux à une température moyenne de 20 °C, une rehausse par Pac est indispensable. Ce processus s’apparente à l’aérothermie où l’échange direct de calories est insuffisant pour alimenter un réseau en chaleur. Le système thermodynamique permet finalement de capter des calories d’un milieu froid pour les transférer vers un milieu chaud. Le gros avantage réside dans l’utilisation d’infrastructures pérennes gérées en délégation de service public, garantissant une fourniture de chaleur sur le long terme, contrairement à la chaleur fatale des data centers ou des sites industriels qui peut disparaître en cas de fermeture. »

(3)Pour en savoir plus sur ce projet, lire l’actualité «EnRezo : une cartographie en ligne pour identifier le potentiel de développement des réseaux de chaleur et de froid » sur le site du Cerema : https://www.cerema.fr.
(4)Pour en savoir plus sur cet outil et y accéder : https://reseaux-chaleur.cerema.fr/life-potentiel-rcf.
(5)Pour consulter et télécharger cette étude : https://reseaux-chaleur.cerema.fr.

À Paris, les égouts refont surface en énergie

À Amiens, Orléans ou encore Antibes, les Step sont déjà équipées de récupérateurs de chaleur fatale. Une opération de valorisation des eaux usées est également menée par la Ville de Paris pour chauffer la mairie du 11e arrondissement et le groupe scolaire Parmentier. Cette solution a permis de réduire de 30 % la consommation d’énergie des deux bâtiments – soit 248 MWh – et permettra d’économiser plus de 1  000  tonnes de CO2 sur 20 ans. Aujourd’hui, près de 50 % des besoins sont couverts par la chaleur fatale, l’appoint se faisant via le réseau de chaleur urbain conventionnel CPCU(6). Il s’agit du premier projet de ce type porté par la Ville de Paris avec une enveloppe de 800 000 euros. Un autre projet a vu le jour dans le 10e arrondissement, il permet de couvrir 60 % des consommations de 5 sites (1 collège, 2 écoles, 1 gymnase et 1 bassin école) soit 1  011 MWh économisés, pour un investissement de 1,6 million d’euros. Trois installations sont en cours, dont l’une dans le 18e arrondissement pour raccorder 7 équipements dont 2 écoles, 1 bibliothèque et 1 gymnase.

Par ailleurs, 14 autres sites à fort potentiel ont d’ores et déjà été identifiés, présentant un débit important en égout avec, à proximité, des bâtiments municipaux. « Jusqu’à présent, nous avons alimenté des mairies, des écoles, des crèches, des piscines avec une énergie qui est utilisée de manière optimale et un terrain de consommation le plus constant possible, explique Damien BALLAND, en charge de la section “Innovation et performance énergétique” au service de l’énergie de la Ville de Paris. Le potentiel de récupération de chaleur fatale sur les eaux usées est important avec un potentiel de multiplication par 20 des installations dans les années à venir. Le terrain de jeu est immense. » Le Plan climat-air-énergie territorial (PCAET) voté en 2018 par le Conseil de Paris prévoit la neutralité carbone de la ville en 2050 avec une réduction de 50 % des consommations et 100 % d’énergie renouvelable dont 20 % produits localement.

(6)Compagnie parisienne de chauffage urbain.

Estimer les besoins et ajuster les réseaux

Le gisement de chaleur fatale issue des boues brûlées a été estimé par l’Ademe à 0,4 TWh, tandis que le gisement de chaleur fatale récupérable par cloacothermie produite uniquement à partir des Step (ayant une capacité nominale supérieure à 2 000 équivalents habitants soit 2 277 installations au niveau national) pourrait atteindre 12,7 TWh. L’analyse approfondie en fonction des zones d’opportunités dites à potentiel et donc des besoins de chaleur montre que les Step situées à moins d’1 km à vol d’oiseau semblent particulièrement prometteuses. « C’est l’essence même du projet EnRezo d’estimer les besoins des bâtiments et de voir s’il y a des concentrations suffisantes pour développer des réseaux de chaleur, souligne Luc PETITPAIN du Cerema. Notre approche, c’est de savoir quelle Step est éligible à la cloacothermie pour alimenter un réseau de chaleur en regardant combien de mégawattheures il faut livrer au regard du mètre linéaire de canalisation à installer. Il s’agit donc de discriminer les stations qui sont trop éloignées pour raccorder un réseau de chaleur en rappelant qu’1 km de canalisation, c’est 1 million d’euros de travaux. Ces chiffres sont à prendre avec des pincettes car ils intègrent des appoints gaz et ne prennent pas en compte uniquement le gisement effectif provenant des eaux usées. L’apport de gaz serait plus important que pour une chaufferie biomasse qui demande généralement un quart de complément, contre moitié-moitié pour la récupération sur eaux usées. » Ce sont ainsi 318 stations d’épuration qui présentent une proximité suffisante à une zone d’opportunités au regard du gisement de chaleur fatale disponible et des besoins en chaleur identifiés à proximité. Le potentiel atteint du reste 4,9 TWh. D’autre part, le Cerema a élargi son travail à des stations d’épuration situées à moins de 2,5 km à vol d’oiseau d’un réseau de chaleur existant. Avec cette option, 151 seraient éligibles avec un potentiel de production de 5 TWh par an. 📒

Vous souhaitez consulter le sommaire
de ce numéro ?

Découvrir le sommaire
« Étude du sol – Bien évaluer les risques pour mieux construire » - Revue Qualité Construction Mai-Juin 2025 de l'AQC