Rapport / Étude
Glissement de sols et désordres des murs de soutènement en milieu tropical
Collection : Fiches Pathologie bâtiment
Date de parution : 2024
Date de dernière mise à jour : Janvier 2024
1. Le constat
La typologie des sols principalement rencontrée dans les DROM correspond à celle des îles volcaniques. Les sols sont composés des différentes couches de laves des coulées successives. La qualité de chaque strate formant le sol dépend du type d’éruption, d’où la succession de roches compactes de bonne résistance (de 3 à 10 bars), de roches altérées de résistance moyenne (entre 1,5 et 3 bars) et de couches de scories de qualité médiocre (< à 1,5 bar). Des sols de type sableux bénéficiant d’une bonne résistance à la compression mais d’une cohésion nulle sont rencontrés sur les zones littorales. Plus rarement des sols sensibles aux variations hydriques, à granulométrie fine de type argile pseudo- gonflante sont observés dans les anciens méandres des ravines (dépôts alluvionnaires non lessivés par les pluies tropicales). Bien que peu fréquents, ces sols sensibles à l’eau sont à l’origine des sinistres les plus coûteux).
La topographie, la nature des sols et le contexte climatique particuliers (expositions cycloniques, précipitations importantes) des DROM, en concomitance avec les contraintes d’urbanisme (densification du bâti et extension des constructions sur les hauteurs ou sur des terrains en pente) ont nécessité la réalisation de murs de soutènement, favorisant l’émergence de pathologies.
Ces ouvrages peuvent être de hauteur limitée (moins de 2 mètres), mais également présenter des hauteurs de 5 à 6 mètres. Les ouvrages rencontrés sont de plusieurs types :
- des murs poids, constitués d’un assemblage de moellons (pierres extraites localement, souvent volcaniques), maçonnées au mortier
- des murs de soutènement en maçonnerie
- des murs en béton banché
- des parois cloutées ou ancrées, rencontrées en stabilisation des décaissements en terrain rocheux (alternance de scories et de roche compacte rendant les parois instables)
- des parois berlinoises.
Les désordres affectant les murs de soutènement se traduisent principalement par des fissurations, des bombement, des tassements et des poinçonnements, conduisant à des déversements, glissements, pouvant aller jusqu’à des effondrements survenant lors d’épisodes pluvieux ou en période cyclonique. Les premiers désordres arrivent généralement entre 2 et 3 ans après la date de réception de l’ouvrage.
2. Le diagnostic
Les désordres affectant les murs de soutènement prennent leur origine à différentes étapes de la conception et de la réalisation de l’ouvrage.
- La cause principale est l’absence ou mauvaise prise en compte des contraintes générées par l’eau, au niveau du massif drainant (matériaux locaux inadaptés, car imperméables, servant au remblaiement, approvisionnement en quantité insuffisante, non-respect des gradients de granulométrie du tertre d’infiltration) des drains (positionnement du drain, pente, positionnement des fentes, utilisation inadaptée de drains agricoles,…), non- respect du sens de pose du géotextile drainant, absence de barbacanes.
- Le mauvais dimensionnement est également source de désordres (mauvaise prise en compte des poussées des terres, des coefficients de frottements internes des terres, absence de prise en compte des poussées hydriques, des contraintes d’exploitations aussi bien sur la partie inférieure que supérieure, contrainte supérieure à celle envisagée sous la semelle….).
Il peut induire une sous-estimation des contraintes et un déplacement des points d’applications des efforts. Cela peut conduire à un basculement voire un renversement de l’ouvrage. - Absence d’étude géotechnique ne permettant pas de prendre en compte la présence de scories volcaniques (qui peuvent modifier la portance du sol) ou de statuer sur le risque de grand glissement.
- Un défaut d’exécution de l’ouvrage (positionnement des armatures, défaut de continuité de chaînage, absence de joints de dilatation…).
- Un défaut d’exécution relatif à un remblaiement mal réalisé (par couches trop épaisses, avec des engins inadaptés, talutage en tête trop prononcé ….), exécuté prématurément (temps de prise des ouvrages bétons non respecté), avec des matériaux inadaptés (ex : matériaux argileux, imperméables ou pollués).
Par ailleurs, la combinaison d’une eau abondante et d’un sol volcanique riche en ions (altération et lessivage des roches et des sols) entraîne une forte agressivité de l’eau en contact avec les ouvrages en béton.
Murs de soutènement, en maçonnerie de petits éléments et en moellons de pierres maçonnées
Dans certains cas, notamment pour les soutènements de faible hauteur, il s’agit de petites entreprises de maçonnerie qui construisent un mur pour un particulier, sans respect des Règles de l’art, ni intervention d’un BET pour la conception et le dimensionnement de l’ouvrage. Pour ces types d’ouvrage, les désordres relèvent de 3 causes.
- Un défaut d’ancrage de la base élargie dans le sol (mauvaise géométrie sur la largeur ou l’épaisseur de la semelle…) pouvant entraîner un basculement de l’ouvrage.
- Une accumulation d’eau sur la face côté terre avec une poussée hydrostatique importante, renforcée par un défaut ou une absence de drainage et une insuffisance d’évacuation par barbacane. En effet, en période cyclonique, les précipitations sont telles qu’elles créent d’importantes poussées hydrauliques sur ce type d’ouvrage. Les défauts des systèmes d’évacuation des eaux de ruissellement, l’absence ou l’inefficacité du système de drainage ne permettent aucune décharge hydraulique derrière le mur.
- En complément, des défauts de dimensionnement (fondation, ferraillage, continuité d’armatures…) ne permettent pas au mur de soutènement de s’opposer à la poussée des terres saturées et celui-ci s’effondre côté libre.
Des murs en béton banché
Les ouvrages en béton armé font l’objet d’une étude de conception par un BET structure. Toutefois, l’intervention d’un BET structure ne remplace pas celle d’un géotechnicien, ce dernier devant déterminer les paramètres du sol (frottement, cohésion, contrainte de sol).
Les défauts de ferraillage et de chaînage sont rarement à l’origine d’instabilité de l’ensemble, contrairement à des choix de caractéristiques de sol trop optimistes par le BET, à défaut de missions G2 et G3 attribuées au géotechnicien.
Parois berlinoises
Les parois berlinoises sont utilisées afin de stabiliser un terrassement lorsque le talutage n’est pas réalisable, comme par exemple en mitoyenneté ou au droit d’ouvrage existant.
Dans les DROM, les sols ne permettant pas la réalisation de passes alternées correspondent à des sols de très faible cohérence, comme les terrains sableux dans les zones littorales.
La phase de remplissage de l’espace entre la paroi berlinoise et le terrain à stabiliser doit être réalisée à l’avancement de l’ouvrage sans délai, sous peine de voir le sol se décomprimer.
La survenance d’un épisode pluvieux de type tropical lors d’une phase critique entraînera le lessivage des particules fines du sol et la déstabilisation du terrain ou des ouvrages avoisinants.
Les autres causes de désordres
- Modification d’ouvrage comme une surélévation même de faible hauteur pouvant compromettre la stabilité de l’ouvrage (équilibre des moments).
- Modification de l’environnement ou modification des aménagements en pied (réalisation d’une piscine).
- Dépassement des charges d’exploitations sur la zone supérieure (surcharges dues à des remblais, aménagement de parking non prévu initialement, construction d’un bâtiment…).
- Fuite de réseaux enterrés.
- Lessivage des particules fines des matériaux de remblais en l’absence de géotextile permettant de les retenir.
3. Les bonnes pratiques
- Prendre en compte dans les PPR les exigences liées aux mouvements de terrain.
- Intégrer les exigences éventuelles liées au zonage sismique.
- En phase conception, dimensionner l’ouvrage afin de pouvoir déterminer l’aptitude de l’ouvrage vis-à-vis de l’environnement et réaliser un plan d’exécution.
- Veiller au phasage des travaux (10 ml au plus) et à la protection des ouvrages à l’avancement.
- Si le site se révèle sensible géotechniquement (relativement au PPR ou sujet à une épaisseur attendue non négligeable de sols meubles), demander un avis géotechnique minimal selon la norme NF P94-500.
- Éviter les soutènements en agglos sauf à soigner le chaînage et l’encastrement en pied dans une semelle.
- Dans tous les cas, vérifier la qualité du sol d’assise, la profondeur d’ancrage et la propreté du fond de fouille et apporter un soin particulier au compactage.
- Pour les ouvrages de H > 4 mètres, faire appel à un maître d’œuvre externe pour la conception et la réalisation des travaux.
- Consulter les prévisions météorologiques avant la réalisation de terrassement ou de talutage, spécialement pour des sols de faible cohérence mais aussi pour des terrains rocheux, en raison de la présence quasi systématique de poches de scories et de couches comportant des particules fines.
- Réaliser une étude de sol dans le cas général avec la norme NF P94-500 selon l’enchaînement complet des missions géotechniques, notamment si des signes d’instabilité sont détectés (végétation couchée, amorce de glissement, loupes, fissures et vides, éboulements…).
- Demander le dimensionnement complet de l’ouvrage et de la partie drainage (prise en compte de tous types de contraintes, eaux, terres, poids/surcharges…) avec plan de ferraillage à l’appui et plans de drainage par un BET structure.
- Tenir compte de la présence d’avoisinants, de la position du mur de soutènement par rapport à la limite de propriété, de la pente du talus : s’assurer que la pente du talus est inférieure à 100 % (45° ou pente 1 pour 1).
Prendre en compte les contraintes hydriques et du système de drainage
- Dimensionner les systèmes de drainages trop souvent à l’origine de désordres.
- Réaliser, derrière le mur, un massif filtrant (système de drainage vertical) en graviers de granulométrie adaptée et croissante (dans le sens de l’écoulement de l’eau), exempts de fines, muni d’un géotextile imputrescible (200g/m2).
- Réaliser un système de drainage horizontal à l’aide d’un produit dédié à cette utilisation (fentes orientées vers le haut, sous un géotextile).
- Vérifier la pente du drain (3 à 10 mm/m), le bon raccordement au réseau EP et la présence de regard de visite (conception). Situer le drain au-dessus du niveau des fondations pour éviter leur affouillement. Cette non-qualité peut a posteriori générer la ruine de l’ouvrage.
- Prévoir un dispositif de barbacanes et le positionner plus haut que le drain pour avertir du dysfonctionnement de ce dernier. Elles ne constituent pas, en effet, à elles seules un dispositif de drainage.
Remplacement
- Compacter le sol avec des engins légers, par couches successives (< 20 cm). Un compactage serré engendre un effort supplémentaire sur le mur et peut avoir un impact sur le drainage.
- Prêter attention à la qualité des remblais. Ne pas utiliser des terres locales non prévues pour cet usage. Préférer l’utilisation de matériaux drainants, propres, concassés, issus de carrière.
- Éviter l’utilisation de matériaux de démolition.
- Mise en œuvre de géotextile pour maintien des particules fines des matériaux de remblais.
Entretien :
- Vérifier périodiquement le bon fonctionnement du drainage et des barbacanes.
- Éliminer les végétations parasites sur l’ouvrage.
- Respecter les charges d’exploitation pour lesquelles le mur a été dimensionné.
4. L’œil de l’expert
Effondrement du mur de soutènement dû à une absence de drainage vertical ainsi qu’à des fondations non conformes.
Photo © DR – AQC
5. L’essentiel
- Faire dimensionner l’ouvrage par un BET, adapter l’ouvrage au sol.
- Soigner la liaison entre la fondation et la paroi.
- Soigner les dispositifs de décharge hydraulique contre la paroi : drainage vertical côté terre, évacuation des eaux, barbacanes ou évacuation.
- Intégrer l’environnement : évacuation des eaux en pied, stabilité de l’assise, circulation des eaux de surface.
6. À consulter
- Eurocode 2 pour le calcul des structures béton
- Règles BAEL 91 pour la conception et le calcul des ouvrages en béton armé aux états limites
- DTU 13.11 Fondations superficielles
- DTU 13.12 Règles de calcul des fondations superficielles
- DTU 20.1 Ouvrages en maçonneries de petits éléments