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Confort d’été & enjeux climatiques – Quels sont les impacts de la végétalisation des bâtiments ?

Revue Qualité Construction N°195 - Novembre/Décembre 2022
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L’été 2022 a mis une nouvelle fois en évidence la vulnérabilité des espaces urbains face aux vagues de chaleur de plus en plus intenses et fréquentes. Quels sont les apports de la végétalisation des toits et des façades en confort d’été pour les habitants des immeubles ? Dans la lutte contre les îlots de chaleur urbains ? Quels sont ses impacts sur des problématiques comme la gestion des eaux pluviales, la biodiversité en ville ou encore le confort acoustique ? Au carrefour de la biologie et de la physique du bâtiment, la végétalisation des constructions est un art technique et créatif.

Hiver comme été, les centres-villes des grosses agglomérations sont si­gni­fi­ca­ti­vement plus chauds que leurs banlieues et les campagnes environnantes. Avantage au XXe siècle, handicap au XXIe quand se succèdent les canicules à fréquence, durée et intensité redoublées. La journée, on cherche le refuge des espaces verts. Quand enfin on attend la fraîcheur nocturne, on se rend compte du relargage infrarouge de la chaleur accumulée la journée dans les masses minérales des bâtiments et des rues (bitume en tête). Les urbanistes, les collectivités et les propriétaires privés ont su depuis longtemps insérer le végétal dans le tissu urbain. La végétalisation des bâtiments est-elle propice au confort thermique des habitants ? Quelle efficacité relative au regard des arbres plantés dans les rues et les parcs, et par rapport aux pelouses et surfaces enherbées au sol ?

Îlots de chaleur urbains  : trois leviers potentiels

Avant d’explorer la question à l’échelle du bâtiment isolé, une approche cartographique éclaire la problématique des Îlots de chaleur urbains (ICU). Eric LARREY, directeur de l’Innovation du groupe Verdi Ingénierie, explique les principes de modélisation des îlots de chaleur urbains : « Les îlots de chaleur urbains touchent toutes les villes. Ces espaces extérieurs aux températures estivales moyennes diurne et nocturne sensiblement supérieures à celles des autres sites urbains sont essentiellement dus à la morphologie urbaine : densité de bâti en surface et hauteur, sols minéralisés, végétation de surface et canopée. Pour la végétation, qui a un rôle majeur sur le rafraîchissement urbain, l’accès à la ressource en eau est essentiel. Faute de quoi, son potentiel de rafraîchissement s’en voit fortement amoindri, voire peut disparaître. En prenant en compte tous ces paramètres, il est possible de cartographier les îlots de chaleur et de fraîcheur. »

Les bâtiments participent à la création des îlots de chaleur : « Ils absorbent et retiennent la chaleur due au flux solaire incident et la relarguent, notamment de nuit. Les bâtiments climatisés rejettent l’air chaud dans le milieu environnant. La réverbération sur les surfaces vitrées, claires ou réfléchissantes, augmente encore les flux de chaleur incidents sur l’espace urbain. Sur ce dernier point, des solutions de protection thermique du bâtiment peuvent s’avérer très néfastes pour les espaces environnants. La température estivale à 14 h 00 (midi au soleil), ressentie par l’usager peut ainsi y être de 5 à 6 °C supérieure. Les bâtiments sont eux aussi soumis à l’ambiance thermique extérieure. Deux bâtiments situés, pour l’un, dans un îlot de fraîcheur et, pour l’autre, dans un îlot de chaleur, seront baignés dans des environnements pouvant différer de 4 à 6 °C en moyenne de jour, de plus de 3 °C de nuit. Que ce soit par le renouvellement d’air, ou les flux aux parois, ces bâtiments ne sont pas soumis aux mêmes contraintes thermiques. Il est donc intéressant de disposer de la carte d’exposition des bâtiments aux effets d’îlots de chaleur urbains, pour le choix et le dimensionnement des solutions de rafraîchissement, dont la végétalisation fait partie. »

Le problème des îlots de chaleur urbains est d’importance, comme le souligne Frédéric SÉGUR, responsable Paysage et foresterie urbaine du service Écologie de la Métropole de Lyon : « L’impact des vagues de chaleur sur la vie en ville est une question-clé, entraînant inconfort, dégradation du sommeil et de la santé, mortalité des personnes fragiles. La principale vulnérabilité de Lyon face aux conséquences du changement climatique est l’impact sanitaire des vagues de chaleur. Avec la restitution nocturne de la chaleur accumulée par les surfaces minérales, on mesure sur la métropole de 2 à 4 °C d’écart de température entre le centre et la périphérie, voire 11 °C une nuit de canicule ! La problématique aujourd’hui est de trouver des solutions d’adaptation. » Frédéric SÉGUR estime qu’il y a trois leviers à actionner : « Premièrement, l’albédo, le pouvoir absorbant ou réfléchissant des matériaux ; deuxièmement, l’évaporation de l’eau accumulée par des surfaces perméables poreuses. Et troisièmement, le végétal, le plus puissant, par l’ombrage et l’évapotranspiration. Il ne faut pas opposer les solutions, mais les combiner. »

Créer de l’ombrage le jour

Même si une feuille n’est pas totalement opaque, la superposition des ombres de chaque feuille fait l’efficacité de l’ombrage des surfaces sur lesquelles les ombres sont projetées. Chacun connaît le confort de la belle ombre profonde d’un tilleul ou d’un platane, et fait bien la différence avec l’ombrage pointilliste d’un peuplier. Mais rares sont les toits terrasses accueillant des arbres. Pour autant, une végétation basse, de la strate herbacée ou arbustive, est un écran qui met plus ou moins à l’ombre le toit ou le mur qui le porte. L’efficacité du pare-soleil végétal est d’autant plus grande que la végétation est dense et bien fourrée. Si le tapis végétal manque d’eau, s’il devient clairsemé, s’il est trop ras, alors cet effet d’ombrage s’étiole.

Le programme de recherche VegDUD indique dans son rapport final que « la végétation a un impact important sur le microclimat urbain. Les ombres portées sur les surfaces participent à la diminution des températures de surface et ainsi réduisent le stockage de chaleur dans les matériaux de construction et les transmissions dans les bâtiments. » Des chercheurs ont relevé des températures de surface de bâtiments réduites de 11 à 25 °C pour des surfaces ombragées. Ils ont observé que « les toitures végétales ont essentiellement un effet direct sur les bâtiments sur lesquels elles sont installées. Cet effet est essentiellement vérifié au niveau de l’étage supérieur, du fait de l’ombrage des plantes. […] L’effet indirect des toitures végétales est très faible en raison de leur impact très limité sur la température de l’air dans le quartier. » Pour des façades végétalisées, des simulations montrent que l’effet direct par l’ombrage des feuilles est supérieur à l’effet indirect du moindre rayonnement infrarouge émis par les bâtiments végétalisés.

Cette diminution des températures de surface par l’ombrage végétal a aussi pour conséquence l’amélioration de la durée de vie des matériaux de construction, notamment des étanchéités (le bitume, c’est noir !).

Rafraîchir l’air par l’évapotranspiration

L’évaporation de l’eau est un moyen très efficace de rafraîchissement, car la chaleur latente d’évaporation de l’eau, c’est-à-dire la quantité de chaleur nécessaire pour la faire passer de l’état liquide à l’état gazeux, est la plus élevée de tous les liquides ! D’où l’efficacité frigorigène du mécanisme de transpiration sélectionnée par l’évolution à la fois dans le règne animal et dans le règne végétal.

Chez les plantes, l’évaporation de l’eau à la surface des feuilles par la transpiration par les stomates (pores des feuilles) n’a pas pour rôle essentiel leur ra­fraî­chis­sement, mais celui de permettre la photosynthèse. Par l’ouverture des stomates le jour, les feuilles absorbent le CO2 et rejettent eau et oxygène. L’évaporation de l’eau des feuilles à leur surface entraîne un appel de sève pour la remplacer d’où, par capillarité, une absorption de l’eau du sol par les racines. Un végétal se comporte à peu près comme une pompe enterrée surmontée d’un brumisateur. Cette pompe évaporatrice est d’autant plus active que l’eau est disponible dans le sol, que l’air est sec, que le vent est fort, que la luminosité est importante et que la température augmente. Mais ce système hydraulique est vivant et, pour le rester, possède des régulations biologiques qui permettent l’adaptation à une période sèche.

Question sobriété hydrique, pour éviter le des­sè­chement, les plantes refermeront progressivement leurs stomates au-delà de 25 à 30 °C de température de l’air et en deçà d’un seuil normal d’humidité du sol. La transpiration des plantes adaptées à la sécheresse est réduite par la réduction du nombre de feuilles et de la surface foliaire (une aiguille plutôt qu’une feuille étalée), par une cuticule plus épaisse, et aussi par un nombre réduit de stomates.

Question efficacité, comme la photosynthèse biologique des constituants de la plante fonctionne avec le rayonnement solaire, les stomates de la plupart des plantes seront fermés la nuit, limitant ainsi fortement la transpiration. Les mesures de l’eau évaporée par les végétaux sont complexes à réaliser et la variabilité très grande selon les espèces végétales et leur environnement. Pour les arbres feuillus en climat tempéré, l’ordre de grandeur est de quelques dizaines à quelques centaines de litres évaporés par jour. Mais réduire l’efficacité évaporatrice rafraîchissante d’une surface végétalisée à la seule transpiration des végétaux est incomplet. En effet, à ce volume transpiré doivent être ajoutés le volume d’eau de pluie intercepté par les branches et feuillages, pluie qui n’atteindra pas le sol, et l’eau libre des flaques, noues et autres bassins présents. Ces phénomènes physiques et biologiques étant indissociables en milieu naturel, le concept globalisant d’évapotranspiration a été forgé dans les années 1950.

On aura compris qu’en termes d’efficacité du rafraîchissement de l’air par l’évapotranspiration, plus la masse foliaire des végétaux est vaste, plus leur impact sera important. L’espèce végétale aussi est à étudier : les végétaux adaptés à la sécheresse transpirent moins… D’où le dilemme : doit-on planter plutôt des végétaux de type méditerranéen qui résisteront mieux à la chaleur mais évaporeront moins, ou ceux adaptés aux climats plus humides et plus frais qui transpireront plus ? La réponse de Frédéric SÉGUR est pleine de nuances face à la complexité du vivant. Il estime que « le choix d’une essence répond à de multiples autres critères : le sol, l’exposition, les usages, les pathologies végétales, le risque allergique, la subjectivité esthétique… Pas facile de faire une sélection ! Il y a en plus beaucoup d’inconnues sur les capacités d’adaptation des arbres au changement climatique qui impacte beaucoup les écosystèmes […]. Il faut aussi penser à lier intimement la ressource en eau et le végétal, considérer l’eau comme une ressource pour le végétal et le rafraîchissement des villes. En fait, il faut travailler sur les deux tableaux : favoriser l’évapotranspiration et veiller à la résilience des plantations. Quelles sont les meilleures conditions pour le meilleur service rendu ? Il faut rester raisonnable sur l’évapotranspiration, qui représente environ un tiers de l’effet rafraîchissant des arbres, les deux tiers étant apportés par l’ombrage. Comme en cas de sécheresse l’évapotranspiration va diminuer, nous menons un test sur le stockage en hiver d’eaux pluviales pour irriguer les arbres uniquement en période de canicule, comme si on branchait un climatiseur naturel. Cela peut être une solution de rafraîchissement pour une placette, une cour d’immeuble. »

Ne pas trop réfléchir et ne pas rester sec

Le pouvoir réfléchissant du rayonnement par une surface, l’albédo, a une grande importance dans le confort thermique et visuel urbain. Sa valeur est comprise entre 0 (corps noir) et 1 (miroir). En ville, l’impact de surfaces réfléchissantes comme les vitrages ou les vêtures métalliques peut être une gêne réelle tant par la surchauffe que par l’éblouissement. Un exemple extrême fut celui du gratte-ciel surnommé à cause de sa forme « the talkie-walkie » à Londres. Ses vitres concaves concentraient le rayonnement solaire dans les rues environnantes, où la température pouvait atteindre en certains points focaux 90 °C, causant des dégâts aux véhicules et aux commerces.
Recouvrir les toitures d’une couche blanche (peinture, résine ou membrane), dite « cool roof », permet de baisser très significativement l’apport radiatif transmis aux bâtiments. Rien d’innovant, les villes méditerranéennes ont démontré cette efficacité depuis des siècles en badigeonnant murs et toitures avec de la chaux.

Marjorie MUSY, directrice de recherche au Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement), et rédactrice du rapport VegDUD, distingue les applications du cool roof et de la végétalisation des toits pour éviter la surchauffe dans les bâtiments : « Les deux procédés protègent surtout le dernier étage. Avec un albédo de l’ordre de 0,2, la toiture végétalisée absorbe le rayonnement solaire et évapore, ce qui évite de renvoyer la chaleur et la lumière vers les bâtiments voisins plus hauts, et produit un air plus frais à leur bénéfice. La toiture-terrasse végétalisée fraîche profite à tout le monde quand elle est basse. En revanche, un cool roof en contrebas sera impactant pour les étages qui le surplombent. C’est plus adapté au sommet d’une tour ou sur un bâtiment sans vis-à-vis. Il faut bien prendre en compte que l’enveloppe participe aussi à l’ambiance extérieure. Les murs végétalisés protègent tous les étages de la façade et aussi les voisins contre le rayonnement réfléchi. Par exemple une tour de parking limite son effet miroir par des plantes grimpantes sur câbles. »

Le pouvoir absorbant de la végétation (albédo inférieur ou égal à 0,2) peut dégrader la protection contre la chaleur si le substrat est sec. VegDUD a montré que « l’eau disponible dans le substrat pour l’évapotranspiration influence fortement sa température. Par rapport à l’air ambiant, la température de surface du substrat peut être jusqu’à 5 °C inférieure si le substrat est très humide. L’importante disponibilité en eau favorise l’effet rafraîchissant lié au processus d’évapotranspiration. En revanche, la température de surface du substrat peut être jusqu’à 20 °C supérieure à celle de l’air ambiant pour un substrat sec : le faible albédo de la végétation entraîne une absorption importante du rayonnement solaire et une augmentation rapide de sa température. Dans ce cas, une surface réfléchissante ayant un albédo important sera plus efficace pour lutter contre le réchauffement du bâtiment. Donc, l’effet bénéfique des toitures en période estivale dépend de la quantité d’eau disponible. »

“Si le bâtiment est déjà bien isolé par les techniques conventionnelles, le bénéfice thermique d’une toiture végétalisée est faible et concernera principalement le dernier étage. […] Avant de végétaliser, il faut commencer par isoler”

Végétalisation et isolation thermique

Le pouvoir isolant des matériaux reconnus comme isolants dans la construction est principalement lié à l’air immobile emprisonné dans les fibres ou les cellules fermées du matériau. C’est aussi le principe du vitrage isolant. La capacité d’isolation thermique d’un complexe de végétalisation est donc à analyser comme sa capacité à emprisonner de l’air. Dans sa porosité entre les grains, le substrat (terre végétale, pouzzolane, billes d’argiles…) peut contenir de l’air… ou de l’eau. L’humidité du substrat, indispensable à la vie végétale, limite donc son pouvoir isolant. Plus le substrat sera épais, plus il augmentera son potentiel isolant. Sur ce point, VegDUD relève que « les plantes limitent la vitesse du vent et donc le renouvellement de l’air au niveau de la surface, ce qui réduit les échanges convectifs ». Dans le cas d’un mur végétalisé, si l’espace entre la paroi et les modules végétalisés est faible, la couche d’air entre les deux limite également les échanges convectifs. Les chercheurs ont relevé que, si le bâtiment est déjà bien isolé par les techniques conventionnelles, le bénéfice thermique d’une toiture végétalisée est faible et concernera principalement le dernier étage. Pour Marjorie MUSY, « avant de végétaliser, il faut commencer par isoler ».

En 2014, l’entreprise Tracer, spécialiste de la façade végétale, a fait analyser par le CSTB le comportement thermique de son procédé Vertiflor de mur végétalisé, suivant des conditions hivernales et estivales : un réseau de lisses métalliques fixé à un voile béton de 16 cm supporte des panières contenant le substrat nourricier de 12 cm d’épaisseur. Un système d’arrosage automatique assure la pérennité de la végétation, qui reçoit très peu d’eau de pluie du fait de sa verticalité.

Pour le comportement du procédé en thermique d’hiver, le rapport d’étude conclut que « la mise en œuvre du mur végétalisé ne change pas significativement la résistance thermique de l’ensemble des couches de la paroi, pour deux raisons principales. Le substrat des modules est régulièrement humide ce qui augmente significativement la conductivité thermique des modules végétalisés. La lame d’air située entre le mur support et les modules possède une épaisseur significative (entre 80 et 110 mm) et son étanchéité à l’air n’est pas assurée : l’air froid extérieur peut donc circuler derrière les modules en court-circuitant ainsi la faible résistance thermique apportée par le substrat humide. Le procédé limite toutefois la circulation de l’air extérieur sur la face du mur, ce qui permet de réduire légèrement les déperditions thermiques à travers le mur. À titre indicatif, la réduction des déperditions thermiques est de l’ordre de 4 % si le mur est isolé par l’intérieur avec une résistance thermique de 2 m2.K/W et inférieure à 2 % si le mur est isolé par l’intérieur avec une résistance thermique de 5 m2.K/W. Si le mur support n’est pas isolé, le gain peut être plus significatif (environ 30 %), mais la valeur de transmission thermique obtenue reste trop importante pour permettre seul d’atteindre les niveaux habituellement rencontrés en construction neuve ou en réhabilitation. »

Pour le comportement du procédé en thermique d’été, le rapport d’étude évalue le facteur de transmission de l’énergie solaire, soit le rapport entre l’énergie solaire pénétrant l’intérieur du bâtiment et celle arrivant sur la paroi : « Par rapport à un mur sombre et pour le même niveau d’isolation thermique, le procédé de végétalisation permet en moyenne de réduire l’énergie solaire pénétrant dans le local au moins d’un facteur 10 (au moins d’un facteur 5 pour un mur clair). Ces performances s’expliquent essentiellement par : la présence d’un arrosage automatique permettant de garantir un substrat humide pendant 30 à 70 % de la saison estivale, ce qui permet de refroidir efficacement l’extérieur de la paroi grâce à l’évapotranspiration des modules végétalisés ; l’effet d’ombre portée lo­ca­lement produit par les végétaux et la présence d’une lame d’air ventilée sur l’extérieur entre les modules végétalisés et le mur support. »

Les experts du CSTB soulignent la nécessité d’une approche globale du confort d’été d’un bâtiment : « La contribution des parois opaques sur l’énergie solaire globale pénétrant dans le bâtiment est faible face à la contribution des parois vitrées, en particulier si celles-ci ne sont pas équipées de protection solaire extérieure. » Pour améliorer significativement le confort estival d’un bâtiment, ils ajoutent que « la mise en œuvre du procédé de mur végétalisé doit donc être intégrée à une réflexion plus globale de confort d’été dans le bâtiment conçu, en associant ce procédé à des parois vitrées équipées de protections solaires extérieures (ou à des masques architecturaux), en limitant au maximum les apports internes et en sollicitant l’inertie thermique du bâtiment associée à une sur-ventilation nocturne efficace ».

Réduire le ruissellement des eaux pluviales

C’est l’impact le plus discret mais peut-être le plus efficace de la végétalisation d’une toiture : l’interception, l’effet retard, le stockage et l’évaporation des pluies. L’abattement des pluies d’orage à la source, dès la toiture, apporte de gros bénéfices à la collectivité dans la lutte contre les inondations soudaines des rues et les crues en aval. Avec la toiture végétale, le toit n’est plus une surface imperméable qui précipite l’eau de pluie dans les égouts. De plus, dans les communes où le réseau pluvial n’est pas séparé de celui des eaux usées, réduire le débit des eaux claires évite le mauvais fonctionnement des stations d’épuration, voire leur débordement.

Sur ce plan, tous les systèmes de végétalisation des toits ne se valent pas ; c’est du bon sens. Le système extensif classique très répandu (car le moins coûteux) avec un tapis de sedum sur un substrat de quelques centimètres aura une moindre capacité de rétention d’eau à la fois par une faible masse végétale et une faible masse de substrat poreux. Une végétalisation semi-extensive ou intensive, par une biomasse plus importante et un substrat épais d’un à plusieurs dizaines de cm (jusqu’à 1 m), développera une capacité naturelle plus importante d’interception, de stockage et d’évapotranspiration de la pluie.

Maeva SABRE, cheffe de projet pôle Climatologie au CSTB, indique que « les mesures réalisées sur la plateforme végétale du CSTB à Nantes sur les débits d’eau en sortie de toitures ont clairement montré qu’en plus de la réduction des pics de fortes pluies, on observait un effet retard sur les débits. À l’échelle réelle, ces effets permettaient de réduire la pression sur les réseaux d’eau en période de fortes pluies. »

En plus de cette captation naturelle de base, les fabricants ont développé des systèmes de rétention et de stockage de l’eau de pluie, placés sous la couche végétale. L’intérêt est multiple. Il est d’abord collectif, par l’écrêtement du débit d’évacuation par les gouttières et l’amélioration du confort thermique d’été. Puis agronomique : l’eau récupérée humidifie le substrat et profite aux racines. Et enfin économique et environnemental : c’est autant d’eau d’irrigation qui n’est pas prélevée dans l’environnement via le réseau d’adduction en eau potable et facturée par le distributeur.

Jean-Christophe GRIMARD, directeur R&D de l’entreprise Le Prieuré, décrit la problématique pluviale et la solution développée par sa société : « Les maîtres d’ouvrage, poussés par les collectivités, demandent un outil de gestion des eaux pluviales. La pluie devient un risque de pollution quand elle se déverse en grande quantité dans des réseaux non-séparatifs. Les stations d’épuration saturent et déversent des eaux non traitées dans le milieu naturel parfois 20 fois dans l’année. La Seine n’est pas si saine ! Les PLU autorisent un débit de fuite de la toiture avec des seuils à la parcelle parfois très faibles. Par exemple à Versailles, 1 litre par seconde par hectare (l/s/ha) et à Lyon, 5 l/s/ha. Notre système Oasis associe un ensemble de bacs modulaires de rétention d’eau, posés sur l’étanchéité, et des bacs végétalisés qui les recouvrent. Comment vidanger lentement les bacs de rétention, pour recréer un volume de stockage de la pluie ? Première voie : vers le bas. Les bacs de rétention communiquent, et environ 1 sur 50 est équipé d’un régulateur de débit de fuite. C’est une petite pièce flottante avec 4 trous calibrés, qui évacue l’eau en goutte-à-goutte en bord de toiture vers la descente pluviale. On peut ajuster le débit de fuite par le diamètre des trous et le nombre de régulateurs donné par les notes de calcul hydraulique. La capacité du bac de rétention est de 52 litres par m2. Les régulateurs ne vidangent que 20 % de ce volume, à débit contrôlé. Le reste sera évacué vers le haut, par capillarité vers le substrat au moyen de mèches de tissu. L’évaporation à la surface du substrat et la transpiration des plantes activent la remontée capillaire, en fonction du climat, de la température, du vent et du couvert végétal. Nous avons mesuré jusqu’à 9 litres par m2 par 24 heures en été. Les bacs de rétention sont soigneusement fermés pour éviter le développement d’algues et de moustiques. Cette voie de dissipation continue permet une gestion des eaux pluviales efficace, avec l’annulation des pics de pluie, 80 % d’abattement des pluies annuelles, une évacuation vers le réseau aval qui tend vers le zéro rejet d’avril à octobre, et une déconnexion du bâtiment au réseau. Par exemple, à Paris, avec 640 mm de pluviométrie annuelle moyenne, le volume de déconnexion d’un bâtiment de 1 000 m2 de toiture est de 512 m3/an qui ne rejoindront pas le réseau aval. »

Ce système végétalisé double bac complet (solution Oasis) revient au total, fournitures et pose incluses, entre 90 et 120 €/m2 HT, selon le dispositif végétal et hydraulique. Reconnu comme technique alternative de gestion des eaux pluviales, il est éligible aux subventions des agences de l’eau et des régions.

Qu’en est-il des murs végétaux ? Selon François-Xavier JACQUINET, dirigeant de l’entreprise Tracer, « une façade végétalisée, dotée d’un substrat épais de 12 cm arrosé en goutte-à-goutte, consomme environ 500 litres par an par m2. Pour le rafraîchissement, on va vers plus d’évapotranspiration par des vivaces et des arbustes. Les eaux pluviales peuvent être récupérées pour l’arrosage automatique des murs. Pour les eaux grises, c’est plus délicat : on craint les produits chimiques comme l’eau de Javel. »

Bruits de la rue  : des gains acoustiques variables

La végétalisation des murs et des toitures a-t-elle un impact sur le bruit perçu dans les rues ? Difficile à mesurer, l’atténuation du bruit en extérieur est abordée par les chercheurs par deux voies : la mesure in situ et la simulation numérique. Le Cerema Méditerranée a mené en 2010 une évaluation acoustique in situ d’un mur végétalisé, situé dans une rue passante de Cergy-Pontoise. Ce mur végétal de 150 m2 était constitué d’une structure autoportante avec des cellules en acier galvanisé, remplies par un substrat de culture de 20 cm d’épaisseur maintenu par une toile en polypropylène : 39 espèces végétales (près de 6 000 plantes). Face à ce mur végétal, de l’autre côté de la rue se trouve la bibliothèque municipale, devant laquelle des récepteurs acoustiques furent déployés. L’étude acoustique a montré une réduction modérée de 0,5 à 2,5 dB(A) suivant la configuration et le jour de mesure. Pour les moyennes fréquences (400-2 500 Hz), la réduction sonore modérée est due à l’absorption acoustique par le substrat. L’efficacité maximale porte sur les hautes fréquences (s 3 150 Hz), du fait de la diffusion par le feuillage. Dans leurs conclusions, les chercheurs ont souligné les limites de l’expérimentation, propres au site de l’étude.

De leur côté, les chercheurs du laboratoire d’acoustique environnementale de l’Ifsttar (Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux) ont conduit, dans le cadre de VegDUD, une modélisation sur l’impact de revêtements végétaux sur les ambiances sonores dans une rue canyon. Entre un scénario où toutes les façades sont parfaitement réfléchissantes et celui pour lequel les quatre premiers étages ainsi que les toitures des deux bâtiments en vis-à-vis sont végétalisés, « l’effet de la végétalisation des façades est insignifiant en bas de la rue. L’effet de la végétalisation est notable dès le premier étage des façades sur toute la largeur de la rue. Un gain de 5 dB est ainsi observé entre les deux scénarios pour les basses fréquences (100 Hz). Dans une telle rue canyon, la végétalisation des toitures n’a aucun effet perceptible, pour les sources et les indicateurs considérés. »

Pour l’isolation phonique d’une pièce par rapport aux bruits aériens extérieurs, la végétalisation de la façade est-elle utile ? L’entreprise Tracer a fait tester par le CSTB son système Vertiflor : des panières remplies de substrat (12 cm d’épaisseur) accrochées à un mur en béton (16 cm d’épaisseur). Les lisses métalliques supports ménagent une lame d’air de 8 cm. L’affaiblissement acoustique du bruit à travers cette paroi composite varie selon la fréquence de l’onde sonore. Il est comparé à celui du mur béton nu. Entre 125 et 250 Hz, pas d’écart significatif. Entre 250 Hz et 2 kHz, l’écart d’indice R d’affaiblissement acoustique va croissant. Le système masse-ressort-masse du mur végétalisé fait gagner de 4 à 14 dB par rapport au mur nu. À 4 kHz, le gain est encore de 6 dB.

Comme pour l’isolation thermique, on peut souligner que la contribution des parois lourdes à l’isolation phonique contre les bruits aériens extérieurs est déjà bien plus importante que celle des surfaces vitrées. Là encore, le projet de végétalisation est à réfléchir, pour ce critère bruit, avec la protection phonique des ouvertures (triple vitrage, coffres de volets isolés).

Quid de la biodiversité  ?

L’apport des façades et toitures végétalisées à la biodiversité en ville dépend de la diversité des espèces végétales mises en place. François-Xavier JACQUINET souligne que le substrat épais et irrigué du système de mur végétal Tracer permet d’implanter jusqu’à une cinquantaine de variétés, ce qui génère une diversité de floraisons favorables aux insectes et aux oiseaux, qui parfois nichent sous le couvert végétal.

Plus le substrat nourricier est épais, plus la diversité microbiologique, végétale et animale sera favorisée. Sur un substrat très pauvre en matière organique et de moins de 10 cm, sans arrosage, pratiquement seuls les sedums réussiront à boucler leur cycle végétatif. À l’autre bout de l’échelle, une couche de substrat d’un mètre, posée sur le système double-bac Oasis Le Prieuré, a permis la plantation sur les toits terrasses du siège de la Métropole de Lille de 150 arbres de 6 à 9 m de haut : érables, houx, chênes, pins, poiriers, pommiers, associés à des arbustes et à une strate herbacée diversifiée (cassis, framboisiers, fraisiers…). Une étude du biotope est en cours avec un inventaire faunistique et floristique, et un suivi photo des arbres.

Des expérimentations associant en toiture de la végétalisation et des panneaux photovoltaïques (voir p encadré ci-dessus) montrent une tendance à l’augmentation de la biodiversité par la protection apportée par les panneaux aux plantes et à la microfaune d’ombre (gastéropodes et insectes). Le choix végétal est d’abord lié à la localisation et à l’orientation du toit. Les couverts sont très différents, comportant plusieurs espèces végétales adaptées aux conditions du microclimat du toit considéré.
La biodiversité, initiale ou acquise, n’a pas que des avantages. Christelle JULIAND, cheffe de projet Qualité environnementale du bâtiment de l’Agence locale énergie climat de Lyon (Alec), alerte sur le risque allergisant de certains pollens : graminées, chénopodes, bouleaux… Les recherches sur la biodiversité des façades et des toitures végétalisées sont peu documentées. Ce qui amène à s’interroger plus largement sur leur importance relative dans la place du végétal en ville.

“La végétalisation des bâtiments, parce qu’elle dépend pour sa pérennité et son efficacité de l’irrigation et de structures porteuses conséquentes, ne peut pas être une solution de remplacement du foncier végétalisé”

Plus de végétal en ville

Ces analyses techniques et scientifiques des impacts de la végétalisation des bâtiments sur la thermique et l’acoustique dans les locaux, dans les rues, sur la gestion des eaux pluviales, sur la biodiversité portent sur l’efficacité des techniques employées. Mais au fond, pourquoi les citadins chérissent-ils arbres, arbustes et prairies fleuries au point de chercher à les faire pousser dans ces espaces artificialisés et minéralisés ?

Avec son point de vue de cartographe de la chaleur et du végétal en ville, Eric LARREY (Verdi Ingénierie) rappelle les bénéfices du végétal pour la santé et le bien-être : « Vous voyez des végétaux, vous ressentez un bien-être apaisant. C’est très étudié au Japon et en Corée. Une heure de promenade dans un parc arboré fait baisser la tension, améliore la cicatrisation. D’où l’intérêt pour la santé, par exemple, d’un mur végétalisé ; la population y est sensible. Suite au confinement Covid, l’inégalité d’accès des citadins au végétal m’a frappé et j’ai défini un indicateur d’intégration végétale. Si la végétation, quelle qu’elle soit, fournit de nombreux services écosystémiques, la question est de savoir si son accès est aisé, voire garanti à tous. Pour chaque habitant, quel est le taux d’espaces végétalisés dans un rayon soit de 300 m, correspondant à 5 minutes de marche à pied à vitesse lente, soit de 50 m, correspondant à la capacité de voir du végétal, de sa fenêtre ou en allant chercher le pain ? Cartographier l’intégration végétale permet de définir les priorités de végétalisation. »

Au final, la végétalisation des bâtiments apparaît comme l’un des trois moyens de végétaliser la cité, avec les arbres d’alignement, des parcs et des sols enherbés et fleuris des jardins, apportant le bien-être à ceux qui peuvent y accéder. Mais l’inégalité d’accès aux toits végétalisés les place dans la catégorie des jardins privatifs. Et leur masse végétale souvent réduite ne peut guère se comparer à celle des arbres, d’où des impacts à relativiser.

Il est clair que ce sont les systèmes intensifs et semi-intensifs qui apporteront le plus de bénéfices écosystémiques. En revanche, les diverses solutions techniques qui augmentent la rétention d’eau de pluie sont un avantage indéniable des toits végétalisés, au bénéfice des collectivités.

La végétalisation des bâtiments, parce qu’elle dépend pour sa pérennité et son efficacité de l’irrigation et de structures porteuses conséquentes, ne peut pas être une solution de remplacement du foncier végétalisé. Sans être la panacée, elle a toute sa place en ville, en complément des arbres, des parcs et des jardins. 📒

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« Confort d'été & enjeux climatiques - Quels sont les impacts de la végétalisation des bâtiments ? » - Revue Qualité Construction Novembre-Décembre 2022 de l'AQC