Forte d’une filière dynamique et d’un cadre de référence, la construction paille poursuit son essor sur le territoire national. Aidée par des professionnels et des maîtres d’ouvrage engagés, elle entend bien continuer de repousser les limites actuelles de son domaine d’application. Des Règles professionnelles existent pour certaines applications et des innovations prometteuses voient le jour… Tour d’horizon.
Longtemps cantonnée à la maison individuelle, la construction en paille a vu en quelques années s’élargir le champ des possibles et se multiplier le nombre de réalisations. Estimés à plus de 10 000 par le Réseau français de la construction paille (RFCP)(1), les projets répartis sur toute la France sont aujourd’hui des plus divers. Parmi eux, figurent des bâtiments d’habitation collectifs, jusqu’à R+7, voire R+10, des logements pour étudiants ou travailleurs, des immeubles de bureaux, mais aussi des Établissements recevant du public (ERP), crèches, écoles, lycées, gymnases, voire quelques casernes de pompiers et des hangars agricoles. La paille y est utilisée pour ses fonctions isolantes en remplissage de parois, mais aussi pour une Isolation par l’extérieur (ITE) et/ou en support d’enduit.
L’attrait pour la construction paille bénéficie de l’avancée des connaissances sur le matériau tant sur le plan écologique que technique. Il s’inscrit plus largement dans le contexte général de lutte contre le changement climatique et de mise en avant des solutions à faible empreinte environnementale. Issue de l’agriculture, au même titre que le chanvre ou le lin, la paille appartient à la famille des biosourcés, et des rares matériaux constructifs pouvant se targuer d’un impact carbone négatif. Selon le calcul de l’ACV (Analyse du cycle de vie) dynamique mis en place par la RE2020, son recours contribue à faire baisser le bilan carbone des bâtiments. « En 2025, les exigences de la RE2020 vont être renforcées. Il ne sera pas possible d’atteindre les niveaux bas carbone sans intégrer de matériaux biosourcés. D’où l’intérêt d’avancer sur ces solutions », encourage Olivier JOREAU, président de l’Association des industriels de la construction biosourcée (AICB)(2).
Depuis 2022, la paille fait l’objet de deux FDES (Fiches de déclarations environnementales et sanitaires) collectives, l’une dédiée à la paille de plein champ issue de l’agriculture conventionnelle, l’autre à la paille issue de l’agriculture biologique(3). L’intérêt écologique de la paille réside également dans son caractère renouvelable, local et dans sa disponibilité sur la majeure partie du pays. Le fait que la paille ne subisse aucun traitement lors de sa transformation en fait aussi une matière facilement recyclable en fin de vie. Un aspect bien connu des agriculteurs qui la réintègrent en partie à leurs champs… Un autre point fort vient de son abondance, qui permet d’écarter tout risque de concurrence du bâtiment avec les autres usages de la paille, à savoir la restructuration des sols après culture ou la litière des animaux d’élevage. « Construire entièrement en paille reviendrait à n’utiliser que 5 à 10 % de la paille produite en France. C’est peu, d’autant que les agriculteurs peuvent aussi adapter leur production », rassure Coralie GARCIA, responsable du pôle « Recherche et développement » du RFCP. « Le fait que la valeur ajoutée par l’artisan qui met en œuvre la paille reste sur le territoire où elle a été récoltée en fait également un atout en termes de développement économique local », ajoute de son côté Yves HUSTACHE, associé fondateur du bureau d’études Karibati.
Sur le plan thermique, la paille bénéficie d’une fonction isolante qui la place à un niveau proche de celui des isolants « conventionnels » (le lambda Ⲗ de la paille en botte = 0,052 W/m.K pour une épaisseur de 37 cm). « Cette performance n’est toutefois pas pleinement valorisée dans le cadre des ouvrages construits sur le territoire national, dans la mesure où les fabricants ne font encore que peu – voire pas du tout – appel à la certification Acermi, là où les producteurs d’autres produits d’isolation ont l’habitude d’y recourir », relève Stéphane HAMEURY, directeur opérationnel « Enveloppe du bâtiment » au CSTB, qui pointe le coût de la certification et le mode de commercialisation de la paille en dehors du schéma industriel traditionnel.
Comme le rappelle Nicolas RABUEL, directeur général de la SCIC ielo : « De par sa nature biosourcée, poreuse et capillaire, la paille a également des qualités hygroscopiques qui lui permettent de réguler l’humidité, qu’elle soit saisonnière, ponctuelle ou accidentelle, dans des proportions raisonnables, ce que ne peut pas faire une laine minérale ou un isolant alvéolaire. » Mais cette perspirance de la paille et des matériaux biosourcés en général n’est pas valorisée par la réglementation. D’où le programme de recherche que la profession espère lancer prochainement, selon les résultats de l’appel à projets de l’Ademe, pour mieux caractériser le phénomène et permettre sa reconnaissance.
Le confort d’été est un autre point mis en avant par la filière. Comme l’explique Yves HUSTACHE, « les isolants biosourcés ont un déphasage thermique de 10 à 12 heures, lié à une densité bien plus importante que celle des matériaux “conventionnels”. Cela signifie qu’un pic de température extérieur qui survient par exemple à midi, ne se retrouve qu’en pleine nuit dans votre bâtiment, à un moment où vous allez pouvoir évacuer plus facilement le surplus de calories, et ce, d’autant que le pic de température est amorti par l’isolant. » Pour Stéphane HAMEURY, « le confort thermique de la paille est un élément potentiellement intéressant dans un contexte de changement climatique qui voit se renouveler des étés chauds. Mais il faudrait qu’il soit caractérisé pour se projeter dans les enjeux de demain. »
Des Règles de l’art reconnues
Au-delà de ses propriétés, le développement de la construction paille doit beaucoup à l’élaboration de Règles professionnelles par le RFCP pour l’utilisation du matériau paille comme isolant et support d’enduit(4). Acceptées en 2012 avec suivi de retour d’expérience par la Commission Prévention Produits mis en œuvre (C2P) de l’AQC (Agence qualité construction), puis acceptées depuis 2017 sans suivi(5), ces Règles forment un véritable cadre de référence pour la profession et ouvrent la voie de l’assurabilité comme techniques courantes pour toutes les mises en œuvre visées par ce document.
Leur application couvre un usage très précis de la paille, qui est celui du remplissage de parois et de la mise en œuvre d’enduits sur paille. Le domaine d’emploi est limité aux bâtiments ayant un plancher haut inférieur à 8 m. La paille y est exclusivement utilisée sous forme de bottes, combinée à une ossature porteuse souvent en bois. Elle est protégée côté extérieur par un enduit à la chaux directement projeté sur le matériau, ou par un système de bardage ventilé. La technique est surtout répandue dans le neuf.
Les Règles professionnelles prévoient une mise en œuvre de la paille soit sur chantier, soit en usine, les bottes de paille étant placées à l’intérieur de caissons ou ossatures en bois, fermés par différents types de parement (panneaux rigides en fibres de bois, OSB en intérieur, plaques de plâtre et fibres de cellulose type Fermacell…). « La préfabrication en atelier a tendance à se développer. Quand le planning est serré ou le chantier de taille importante, elle permet de produire les panneaux en amont, à l’abri des intempéries, et de respecter les délais de chantier tout en ayant une qualité de fabrication semi-industrielle. Sur chantier en revanche, on perd la visibilité de la construction paille », confie Jean-Pierre SCHWARZ, ingénieur en contrôle technique de construction et spécialiste « Matériaux biosourcés » chez Alpes Contrôles. De son côté, Olivier JOREAU constate que la transformation des métiers est à l’œuvre : « Il y a quelques années, beaucoup de bottes de paille provenaient de l’agriculture en direct, avec des bottes ayant des formats liés aux presses agricoles. Maintenant, on est sur des formats plus industriels. Les bottes sont reconditionnées ce qui permet d’avoir des densités et des formats adaptés à une pose rapide dans le bâtiment. Pour les artisans, la standardisation est le meilleur moyen d’avoir une reproductibilité facile et d’éviter tout sinistre par la suite. »
Coralie GARCIA précise de son côté que « les bottes de paille ont des formats variés, qui dépendent du type de botteleuses disponibles. À côté du format classique de 38 cm x 48 cm x 80 cm et 1,20 m de longueur, se développent des formats plus petits, souvent à la demande, dont la botte de paille de 22 cm d’épaisseur qui est également intéressante pour faire de l’isolation technique par l’extérieur. »
L’ITE bientôt visée par des Règles professionnelles
Sortant du cadre des Règles professionnelles, un certain nombre de pratiques non courantes(6) viennent élargir le champ d’application de la paille. Pour prétendre à une garantie décennale, ces pratiques doivent faire l’objet d’une déclaration spécifique auprès des compagnies d’assurances, permettant de mener une analyse de risque au cas par cas. « Il s’agit notamment de la paille porteuse, qui consiste à monter les bottes de paille en quinconce, comme des agglos, avec des harpages dans les angles. Les bottes sont liaisonnées entre elles et comprimées par des sangles, dont le serrage équivaut à une post-contrainte et permet à la paille de ne pas se comprimer davantage en cas de surcharge du plancher, ou de la toiture par la neige. Des lisses de répartition permettent ensuite de poser plancher et toiture sur les parois en paille. La solution a, entre autres avantages, de se passer de bois, une ressource dont la disponibilité à terme pose question », précise Laurent DANDRES, contrôleur technique et référent national biosourcé chez Apave. Développée au Québec puis en France dans les années 2000, la technique du GREB se caractérise quant à elle par une double ossature porteuse en bois. À mi-chemin entre la paille porteuse et l’ossature bois, elle est réservée à des chantiers de maisons individuelles, souvent menés en autoconstruction.
Parmi les mises en œuvre ne relevant pas du cadre de la technique courante, figure également l’isolation thermique par l’extérieur en paille qui représente un véritable enjeu pour le bâti existant, et sur laquelle des Règles professionnelles sont en cours d’écriture par le RFCP. Des spécificités sont en effet à prendre en compte. « Le support ne doit pas être humide au risque d’humidifier la paille. Cela implique une vigilance particulière en rénovation », met en garde Yves HUSTACHE. Solution prometteuse, la paille hachée insufflée, plus récente dans le paysage constructif, est de son côté visée par une première ATEx (Appréciation Technique d’Expérimentation) de cas « b » sur le chantier de rénovation énergétique du Crous Champlain de Poitiers.
(6)Les techniques de construction sont classées par la Commission Prévention Produits mis en œuvre (C2P) de l’AQC en deux catégories : • les techniques courantes (normes et NF DTU, Recommandations professionnelles acceptées par la C2P, Règles professionnelles acceptées par la C2P, Avis Techniques [ATec] et Documents Techniques d’Application [DTA] en Liste verte de la C2P, ATEx [Appréciations Techniques d’Expérimentation] favorables…) ; • et les techniques non courantes (Règles professionnelles non examinées ou non acceptées par la C2P, familles d’ATec ou DTA mises en observation, ATEx réservés ou défavorables…).
Prévenir les risques liés à l’eau
Normée ou pas, la construction paille nécessite une attention particulière à l’eau et au feu pour éviter tout risque de dégradation remettant en cause la solidité et la pérennité des ouvrages.
« La sensibilité à l’eau de la paille, et des biosourcés en général, vient de leur composante organique. Bien que les matériaux conventionnels puissent y être également sensibles, ils ne le sont pas dans les mêmes proportions du fait de leur origine », souligne Mariangel SANCHEZ, ingénieure, chargée du suivi des innovations à l’AQC. Du point de vue du risque incendie, la paille est un matériau inflammable (classe E selon la norme NF EN 13501-1) ayant une réaction au feu B-S1-d0 (EN 13501-1:2007).
Points de vigilance et bonnes pratiques ont été bien anticipés par le RFCP qui a mis en place une formation « Pro-Paille » à destination des entreprises, architectes et bureaux d’études qui interviennent sur les chantiers. Ils ont également été étudiés et documentés dans l’étude menée en 2016 par l’AQC(7), ainsi que dans le Guide technique des matériaux biosourcés & géosourcés à l’usage des acteurs de la construction rédigé en partenariat par EnvirobatBDM (Bâtiments durables méditerranéens) et le bureau de contrôle Apave(8).
L’expression « De bonnes bottes et un bon chapeau », souvent employée pour la réalisation d‘ouvrages en terre, résume une partie des attentions à avoir vis-à-vis de l’eau, qu’il s’agisse de l’eau remontant du sol par capillarité, de l’eau éclaboussant les soubassements ou de l’eau tombant du ciel et ruisselant sur les façades. « On y retrouve l’importance de respecter la mise en œuvre d’arases étanches en pied de mur, de conserver une garde au sol de 20 cm, ou encore de protéger la tête des murs, etc. À cela s’ajoute la vigilance à avoir durant la phase chantier pour éviter que la reprise d’eau n’affecte les matériaux, et qui passe par la mise en place de protections parfois provisoires au niveau des appuis de fenêtres, des têtes de mur, des trous réalisés dans les caissons préfabriqués pour permettre le passage de sangles de levage. Pendant la phase de la vie en œuvre, il faudra être très attentif au risque de dégâts des eaux, d’autant que la dégradation peut être moins visible et plus présente qu’avec des matériaux minéraux. Il y a aussi la question des transferts de vapeur d’eau au niveau des parois », résume Mariangel SANCHEZ. Le fait que les murs en paille soient naturellement perspirants facilite la régulation de ces transferts. Mais, comme en témoigne Laurent DANDRES, « il faut veiller à fermer “relativement” la paroi intérieure et à ouvrir la paroi extérieure pour éviter que trop d’eau ne chemine dans le mur. Le terme “relativement” traduit le fait qu’il existe un rapport de perméabilité à respecter entre l’intérieur et l’extérieur, le but étant que le mur respire. À l’extérieur, le ciment est de fait proscrit. On privilégie en revanche les enduits à la chaux et, dans le cas d’un bardage, les lames d’air ventilées avec des films pare-pluie et des panneaux très respirants côté extérieur. Il faut aussi être attentif aux panneaux, à leur éventuel rôle contreventant qui peut poser un problème. La valeur SD des matériaux, c’est-à-dire leur épaisseur d’air équivalente (SD = perméabilité x épaisseur), doit être étudiée avec attention pour tous les composants du complexe de mur. »
Le risque incendie appelle lui aussi un certain nombre de précautions. « La paille est un matériau combustible, de même que les produits bois. Cela peut être un facteur de risque supplémentaire pour certains types d’ouvrage. Donc il faut faire attention à l’endroit où l’on positionne ces produits et à la manière dont ils sont protégés. En revanche, comme l’ont montré les essais de caractérisation du comportement au feu des ouvrages à base de paille, une fois que l’incendie s’est développé et qu’on atteint la phase de résistance au feu, globalement, on se rend compte que le matériau reste présent pendant une longue durée », constate Stéphane HAMEURY. Pour répondre à la réglementation incendie, il n’y a pas de réponse unique. C’est l’ensemble du complexe constructif qui est à considérer selon la typologie de bâtiment. À noter que le risque incendie est aussi présent pendant les travaux. « Quand les bottes de paille sont directement posées sur chantier, elles doivent parfois être déconstruites pour combler les vides et les interstices de la structure bois. Il faut alors être prudent à la moindre étincelle ou flamme, car autant les ballots de paille sont compacts et ne brûlent pas rapidement, autant des brins de paille s’enflamment vite », prévient Jean-Pierre SCHWARZ.
Ce rapide tour d’horizon des grandes règles qui entourent la construction paille rappelle combien cette solution constructive est aujourd’hui bien étudiée et maîtrisée par les professionnels de la filière, en atteste d’ailleurs la faible sinistralité constatée. Si la quantité de chantiers en paille continue de progresser, il reste encore des freins à lever pour changer d’échelle et aller vers une diffusion plus large. Ces freins concernent aussi l’élargissement du domaine d’application de la paille au-delà du verrou des 8 m ou du remplissage vertical. L’appel à projets de l’Ademe – pour lequel le RFCP espère être sélectionné – pourrait faire bouger les lignes en permettant aux professionnels d’approfondir le travail sur le feu, le sismique, le vent, les enduits… avec plusieurs laboratoires partenaires. 📒