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JOP Paris 2024 – Le Village olympique pousse l’innovation en recyclant les eaux usées

Revue Qualité Construction N°201 - Novembre/Décembre 2023
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Financées dans le cadre des objectifs environnementaux fixés pour les ouvrages des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, plusieurs expérimentations de systèmes innovants de recyclage des eaux usées sont développées sur le Village des athlètes. Tour d’horizon des projets.

L’économie circulaire est un des objectifs environnementaux financés par la Solideo (Société de livraison des ouvrages olympiques) sur les ouvrages en construction. En témoignent les trois projets de recyclage des eaux usées mis en œuvre sur le Village olympique et paralympique (VOP) à Saint-Ouen-sur-Seine (93). Outre un recyclage multi-flux très complet expérimenté sur l’immeuble d’habitations « Cycle », il est en effet prévu un recyclage des eaux grises par phytoépuration du futur centre de secours mutualisé ainsi qu’un pompage direct des eaux noires dans le réseau d’assainissement afin d’arroser la végétation du « Mail Finot », cette grande artère étagée, végétalisée et piétonne qui traverse le Village jusqu’à la Seine.

“Sur cette thématique de réutilisation des eaux grises, la France est moins avancée que d’autres pays avec moins de 2 % des eaux usées retraitées et réutilisées une seconde fois”

«  Cycle  »  : un immeuble démonstrateur

Le programme le plus ambitieux est celui du projet pilote « Cycle » conçu pour initier une véritable transition vers des bâtiments « Ressources » et « Zéro Déchet ». Cet immeuble démonstrateur à structure mixte bois et béton sera livré, avec réserves, en fin d’année 2023, comme tous les bâtiments du VOP. Il est prévu que les équipements soient installés pour les JOP de 2024 mais leur mise en fonctionnement complète est attendue en phase « Héritage » à l’achèvement des Jeux. « “Cycle” est un projet pionnier à l’échelle du bâtiment pour créer et démontrer la capacité de réutiliser et de recycler les différents flux, présente Antoine DU SOUICH, directeur de la stratégie et de l’innovation à la Solideo. Plusieurs questions d’usages et de revalorisation se posent et pour y répondre, des contributeurs et des organismes institutionnels ont été réunis autour d’Icade ainsi que des experts comme le bureau d’études environnemental Oasiis, le spécialiste Nereus de la filtration et du traitement des eaux et Toopi Organics (entreprise de biotechnologie) pour la valorisation des urines. Sur cette thématique de réutilisation des eaux grises, la France est moins avancée que d’autres pays avec moins de 2 % des eaux usées retraitées et réutilisées une seconde fois. L’objectif est d’atteindre 10 % en 2030 en lançant un millier de projets dans les prochaines années tout en prenant en compte les exigences sanitaires propres à la France. »

Si le projet « Cycle » est expérimental, les technologies mobilisées sont maîtrisées. L’enjeu est de développer un démonstrateur complet allant jusqu’à la valorisation finale. Ces technologies sont financées dans le cadre de France Expérimentation comme démonstrateur d’usage instrumenté, qui va permettre de fournir un retour d’expérience et de recueillir de la donnée. Le montant de la subvention du fonds d’innovation de la Solideo est de 1,555 million d’euros qui couvre les surcoûts afin de garantir l’ingénierie, le montage du projet et l’investissement. « Pour définir une doctrine, il faut des techniques innovantes de filtrage et de valorisation mais aussi tenir compte du comportement des utilisateurs. Il faut acquérir de la connaissance sur la durée par exemple sur les produits versés par les habitants dans leurs éviers de cuisine, valider les usages et veiller à contrôler les systèmes avec des sondes et des alarmes embarquées. Il faudra aussi organiser la gestion de l’eau sur la durée peut-être en lien avec les syndics », confie Antoine DU SOUICH. La prochaine étape sera aussi de trouver la bonne échelle pour ce type d’installation, vraisemblablement en l’élargissant et en organisant un dispositif de collecte à l’échelle de l’îlot ou du quartier.

Séparation en quatre flux

Réalisé par l’Atelier Pascal Gontier (architecte), et acquis par CDC Habitat, l’immeuble « Cycle » compte 26 logements destinés à la location après les Jeux. Il est situé dans le secteur D du Village olympique et paralympique, et en bordure du Mail Finot. Ce bâ­timent en R+6 repose sur un socle en béton commun­ à l’ensemble immobilier du lot D (52 000 m2) qui va accueillir 3 000 athlètes pendant les Jeux. Le groupement qui a été retenu pour réaliser ce quartier dit « Les Quinconces » est composé d’Icade Promotion, du bailleur CDC Habitat et de la Caisse des dépôts et consignations (Banque des territoires), avec comme entreprise générale GCC. « L’idée du bâtiment “Cycle”, témoigne Laurent OUVRARD, directeur de projets chez Oasiis, a été proposée par Oasiis avec le soutien d’Icade et de CDC Habitat, mandataires du groupement, dans le cadre de l’appel d’offres lancé sur le secteur D par la Solideo. Le cahier de charges de la Solideo spécifiait que les candidats devaient faire une proposition d’un bâtiment innovant avec la possibilité à la clef de bénéficier d’un fonds innovation. Le choix de cette thématique a été motivé par plusieurs raisons : mettre en perspective l’importance du recyclage local des effluents dans un contexte de changement climatique, requestionner le paradigme d’économie linéaire du tout-à-l’égout qui génère pollutions, fortes dépenses énergétiques et impacts carbone élevés par un modèle circulaire qui valorise séparément les flux matières, et en démontrer toutes les externalités positives. »

Dans un communiqué de presse commun publié le 29 novembre 2019, les maîtres d’ouvrage du projet assurent que « le bâtiment “Cycle” sera pilote dans la mise en place de nouvelles solutions de circuits-courts pour l’eau et les biodéchets avec le territoire et les espaces agricoles voisins ». La circularité est prévue avec quatre flux qui vont être traités : les eaux grises et les biodéchets mais aussi les urines et les matières fécales riches en nutriments qui seront valorisées comme amendements agricoles. Le principe général est une séparation des eaux noires des toilettes entre urine et matière fécale avec l’idée d’avoir zéro rejet. Les urines seront stockées dans des cuves au sous-sol et envoyées dans l’usine de Toopi Organics pour être valorisées, tandis que la matière fécale sera séparée avec une centrifugeuse entre liquide et solide pour du compostage. Différents réseaux sont prévus pour séparer les eaux domestiques entre eau potable et eau grise retraitée. Les eaux grises et une partie des eaux noires seront traitées pour en faire une eau propre potable à réutiliser pour les toilettes et l’arrosage ; ce serait une première en France si l’autorisation est ob­tenue pour alimenter les machines à laver le linge. Le recyclage de ces eaux usées permettra d’économiser jusqu’à 60 % de la consommation d’eau potable, tout en récupérant leurs calories pour assurer 95 % des besoins d’Eau chaude sanitaire (ECS). « L’engagement est sur les résultats avec des mesures de l’activité et un suivi sanitaire constant afin de ne pas prendre de risques. Le compost va être contrôlé afin d’avoir une connaissance encore plus fine du process et de continuer à améliorer les règles sanitaires en la matière », souligne Antoine DU SOUICH.

Innover en filtration et répondre aux normes

Créée en 2013 dans l’Hérault (34) par Emmanuel TROUVÉ, la société Nereus est spécialisée dans le recyclage d’eaux usées. Elle conçoit, fabrique, installe et exploite des installations de traitement et de filtration d’eau pour l’industrie, les exploitations agricoles, les campings, le bâtiment… « Notre innovation porte sur la technologie de filtration dynamique par membranes utilisée pour traiter l’eau. Le problème des membranes est le colmatage. La méthode classique est d’agiter très vite l’eau à filtrer, ce qui est très consommateur en énergie. Notre solution consiste à utiliser des disques de membrane en rotation. Cette opération est plus économe en énergie et permet de traiter de l’eau très chargée », explique Guillaume­ NOURRIT, directeur « Innovation & Développement nouveaux marchés » chez Nereus. Cette technologie mature a déjà été mise en œuvre en 2018 pour traiter les eaux usées d’un camping et d’un hôtel à Saint-Barthélemy (arrosage des espaces verts), et pour un recyclage d’effluents industriels en Martinique avec un débit de 40 m3/h. L’entreprise Nereus participe aussi à une filière d’innovation en dé­ve­lop­pement dans l’ouest de la France, pour transformer les digestats en ammoniac et fabriquer de l’engrais azoté.

Concernant l’immeuble « Cycle », l’innovation repose sur une double ambition, celle d’utiliser des sources d’eau nouvelles (les eaux grises et noires) pour un usage nouveau (le lave-linge) en France tout en récupérant l’énergie pour chauffer l’ECS du bâtiment. « Nous sommes engagés dans une longue procédure avec une première demande de dérogation effectuée auprès de l’ARS [Agence régionale de santé] qui nous a renvoyés vers France Expérimentation pour obtenir une autorisation sur l’origine nouvelle et sur le nouvel usage. Nous sommes en attente des dernières décisions concernant ces procédures », poursuit Guillaume NOURRIT.

Les équipements sont installés dans un sous-sol technique du bâtiment « Cycle » en R-1 et R-2. Le traitement des eaux usées commence par un tamis à grosses mailles qui filtre la matière grossière, couplé à un traitement biologique par un bioréacteur, la filtration par membranes à disques puis une étape de finition termine le processus par osmose inverse. Le résultat est une eau propre équivalente à l’eau potable qui répond aux normes les plus strictes. Pour apporter une sécurité maximale, l’eau à traiter est stockée dans deux cuves fonctionnant en alternance et prenant le relais en cas de défaillance et de non-conformité de l’une des cuves suivant la norme NF EN 16941-2. En sortie, l’eau traitée sera acheminée vers les toilettes des étages par un compresseur, mais aussi vers les machines à laver et l’arrosage (en toiture et autour de l’immeuble). « Nos machines sont équipées de capteurs de notre partenaire IFM, complète Guillaume NOURRIT (Nereus). Elles permettent de mesurer le débit bien entendu mais aussi la pression, la turbidité, le PH, la température, etc. Les automates connectés permettent de faire de l’exploitation à distance. Une supervision pour le suivi sur le long terme, sert à optimiser l’installation à partir des tendances observées, par exemple la fréquence d’aération. » L’immeuble est construit et équipé pour une livraison en fin d’année mais le recyclage ne sera fonctionnel qu’à partir de la phase « Héritage » lorsque l’habitat définitif sera occupé. La capacité nominale prévue du débit d’eau traitée est de 300 litres/heure soit 7 m3/jour.

Azote et phosphore… Au service de l’agriculture

Comme l’explique Laurent OUVRARD, « le flux d’urine est tout d’abord isolé grâce aux toilettes à séparation Save! et est stocké dans une cuve en sous-sol du bâtiment. Le choix de ces toilettes de nouvelle génération développées récemment par Laufen est important. En effet, elles se présentent à première vue comme des toilettes normales sans le double compartiment de la génération précédente, ce qui facilite grandement leur entretien, donc leur acceptabilité par des usagers pas forcément sensibilisés aux questions environnementales. » De là partent deux réseaux, les urines et les eaux vannes avec les matières fécales. Les urines sont stockées plusieurs mois dans des cuves situées au sous-sol avec détecteur de hauteur, avant d’être vidangées depuis l’extérieur et récupérées dans l’usine de Toopi Organics. Cette ressource est valorisée comme milieu de culture de bactéries sélectionnées en laboratoire pour servir – après filtration et fermentation – de biostimulant agronomique pour le sol. Créée en 2019, la start-up a développé un premier produit, le Lactopi Start, qui a obtenu l’autorisation de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail). Cette culture de bactéries solubilise le phosphore déjà présent dans le sol pour le rendre disponible aux plantes. Un autre procédé de biocontrôle, avec des bactéries qui captent l’azote de l’air, est aussi en cours d’agrément. Ces bactéries sont présentes à l’état naturel dans le sol mais en quantité limitée. Le recyclage de l’urine humaine va permettre d’arriver à un prix attractif de fabrication de ces biostimulants (phosphore, azote…), qui remplacent en partie les engrais industriels du commerce et participent à la transition agronomique en apportant des nutriments aux plantes. Avec l’immeuble « Cycle », l’idée est de créer un démonstrateur mettant en œuvre une chaîne de valorisation complète opérationnelle depuis la collecte jusqu’à la commercialisation dans l’objectif de créer un nouveau service urbain.

Concernant les eaux vannes – qui contiennent le papier et les matières fécales –, elles sont stockées en sous-sol pour le compostage. Le dispositif prévoit deux composteurs à matière fécale, chacun traitant treize logements. En tête du composteur, un équipement fabriqué par Aquatron sépare le papier de la matière en fonction de la vitesse d’écoulement des eaux vannes. En tête du composteur, un séparateur cyclonique (Aquatron) permet de ne récupérer que les matières solides. La fraction liquide en sortie des séparateurs ainsi que l’exsudat des composteurs rejoint le circuit de traitement des eaux usées pour être hygiénisée et traitée. Le compostage doit durer deux ans au minimum suivant les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour éliminer les germes pathogènes. Laurent OUVRARD (Oasiis) ajoute en complément : « La réglementation impose aux collectivités de trier sélectivement les biodéchets dont les déchets carnés d’ici 2024, à ne pas confondre avec les déchets verts, pelouse, épluchures, etc. À terme, l‘enjeu est de développer des centres de compostage dédiés à l’échelle du quartier permettant une collecte en modes doux et pour éviter de mettre en œuvre un nouveau flux de camions. »

“Retenir les eaux usées par une vanne pour pomper dans le réseau d’assainissement existant est une solution technique plus simple que de créer une dérivation vers un stockage, un système onéreux qui demande de l’entretien”

Avec Green Bow, puisage direct dans les égouts  !

Avec le projet Green Bow, solution innovante proposée par Nereus avec le concours de plusieurs partenaires (F-Reg, Qista et La compagnie du paysage), les eaux usées sont directement pompées dans le réseau d’assainissement souterrain du Village des athlètes et envoyées dans la station de traitement Nereus. L’eau est filtrée et stockée dans des cuves pour l’arrosage des espaces verts du Mail Finot et de la rue Ampère, représentant un demi-hectare environ d’espace vert. Un des enjeux pour réussir les îlots de fraîcheur urbains est de fournir de l’eau à la végétation en été afin qu’elle rafraîchisse la ville par évapo-transpiration. « La vanne spécifique utilisée sur le projet vient retenir une certaine hauteur d’eau dans la conduite d’égout afin de permettre le pompage. Notre procédé de traitement de l’eau qui aura un débit nominal de l’ordre de 1 m3/h est beaucoup plus simple que celui mis en œuvre pour “Cycle”. Autre différence, cet équipement sera en fonctionnement pendant les Jeux à l’été 2024 », confie Guillaume NOURRIT (Nereus).

Habituellement, la récupération des eaux s’effectue en aval d’une station d’épuration où l’effluent est déjà traité. Or il n’y a pas de station d’épuration au Village olympique. C’est la raison pour laquelle le captage est réalisé au droit du site où est prévu l’arrosage. « Pour la captation des eaux usées, détaille Emmanuel CURINIER, directeur général de F-Reg, nous fournissons la vanne du réseau d’assainissement qui a la double fonction de permettre le stockage nécessaire au captage et de s’ouvrir en cas de débit trop important. Elle s’ouvre en effet automatiquement en cas d’augmentation du débit au-delà du besoin, par exemple lors d’une pointe d’usage d’eau domestique ou d’intrusions d’eaux pluviales parasites. La vanne utilisée sur ce projet est une adaptation de notre produit : la vanne hydrodynamique autonome. »

Retenir les eaux usées par une vanne pour pomper dans le réseau d’assainissement existant est une solution technique plus simple que de créer une dérivation vers un stockage, un système onéreux qui demande de l’entretien. Il n’y a en effet pas besoin de créer un poste de refoulement spécifique avec dévoiement de l’eau vers une bâche ou une cuve. Un autre avantage de la vanne par rapport à un poste de refoulement est qu’elle s’ouvre par le bas ce qui élimine le risque de dépôt et facilite son entretien. La vanne est connectée et reliée à un capteur de hauteur d’eau en amont et la pompe est située à côté de la vanne derrière la crépine. L’ordre de pompage et d’arrêt est donné par le système de traitement Nereus qui va être installé dans un local technique en face du collège Dora-Maar, situé à quelques mètres du Village des athlètes. « Le fonctionnement de cette vanne autonome par vérin pneumatique a été pensé pour être simple et robuste. Elle est calibrée pour s’ouvrir à partir d’une certaine charge. Le réseau d’assainissement existant utilisé est classique en 200 mm de diamètre avec un regard de visite en 1 000 mm », ajoute en complément Emmanuel CURINIER.

L’espace public, étagé et paysagé (le Mail Fino) est achevé mais le chantier est toujours en cours. Les équipements doivent être mis en place d’ici fin 2023 et fonctionner début 2024 pour être opérationnels pendant les Jeux. Les besoins sont surtout pour l’irrigation estivale qui bénéficiera de plus de 23 m3/jour. L’eau usée représente une ressource infinie mais sa réutilisation est difficile à développer en France car la réglementation reste encore très compliquée. 📒

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« Toits solaires végétalisés - Pourquoi associer végétal et solaire photovoltaïque ? » - Revue Qualité Construction Novembre-Décembre 2023 de l'AQC