Revue Qualité Construction N°200 - Septembre/Octobre 2023
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Pour répondre au défi de la fin du moteur thermique à l’horizon 2035, l’installation d’Infrastructures de recharge pour véhicules électriques – IRVE - dans les copropriétés est un enjeu majeur de la décarbonation du secteur des transports. La réglementation est désormais largement favorable à la massification des solutions de mobilité douce, notamment dans le résidentiel collectif. Les aides et les financements incitent également les copropriétaires à équiper leurs places de stationnement de dispositifs souples et performants. Reste à encadrer un marché très concurrentiel et à veiller à la conformité de mise en œuvre des points de raccordement. À l’enjeu de l’électrification du parc automobile s’ajoute aussi celui, majeur, de la sécurité des usagers.
Un véritable « boom » : c’est bien ainsi que l’on peut qualifier le volume des ventes de véhicules électriques et hybrides rechargeables sur les derniers mois écoulés. En effet, le premier semestre 2023 a enregistré 230 743 nouveaux véhicules mis à la route, contre 162 794 unités commercialisées entre janvier et juin 2022. Soit une hausse de 41,7 % sur un marché automobile global qui montre également une croissance de 13,1 % par rapport aux six premiers mois de l’an passé. Sur le seul mois de juin 2023, pas moins de 55 324 véhicules électrifiés rechargeables ont été immatriculés, soit une progression importante de 58,1 % par rapport à la même période de 2022. Avec ce nouveau record, la part de marché de ces véhicules passe à 24 % sur le mois de juin 2023. Conclusion : en juin 2023, près d’un véhicule sur quatre vendus en France est un modèle électrique ou hybride rechargeable. Un défi majeur est à relever pour transformer l’essai : déployer un réseau de bornes de recharges afin d’alimenter un parc converti aux vertus du transport durable. Sur ce front, la France a atteint fin juin 2023 la barre des 101 681 points de recharge – dont 14 000 points de recharge rapide – ouverts au public, conformément au souhait du Gouvernement de disposer d’une infrastructure pouvant absorber la demande. L’ambition des pouvoirs publics est d’atteindre 400 000 bornes d’ici 2030. Ces derniers regardent également de manière attentive non seulement l’espace public, longtemps objet de toutes les convoitises, mais cette fois-ci l’espace privé. En clair, le secteur du résidentiel collectif.
Un potentiel de 8 millions de places de parking
Un enjeu d’importance car si un Français sur deux habite en copropriété et si 7 millions d’entre eux possèdent un parking dans un immeuble, à peine 2 % des résidences (selon Enedis) sont actuellement équipées d’Infrastructures de recharge pour véhicules électriques (IRVE). Dans le résidentiel privé, environ 180 000 copropriétés disposent de plus de 10 logements et d’un parc de stationnement, ce qui représente environ 6,9 millions de places de parking à équiper. Un chiffre qui monte à 8 millions de places de parkings si l’on considère les immeubles à partir de 6 logements. « Une infrastructure de recharge représente moins de complexité dans une copropriété que d’autres travaux plus lourds comme ceux portant sur la rénovation énergétique du bâti », assure Éric PLANTIVE, directeur de la filiale Izi by EDF lancée en 2019 pour accompagner les Français dans la réduction de leurs émissions de CO2 dans l’habitat. « Son implantation est donc plus simple à voter en assemblée générale, poursuit-il : l’enjeu est d’équiper très rapidement ces immeubles dans les dix ans à venir, car le marché va connaître une dynamique et une croissance fortes. » Permettre à chaque Français vivant en copropriété de pouvoir recharger son véhicule aussi facilement qu’en maison individuelle est donc le défi des années à venir. Dès lors, à l’instar de la rénovation énergétique, la copropriété fait partie des priorités gouvernementales. Avec une adaptation de la réglementation en conséquence pour forcer la marche vers la massification de l’électrification de la flotte automobile française. Ainsi, pour les copropriétés dont le permis de construire a été déposé entre le 1er janvier 2017 et le 11 mars 2021, au-delà de 40 places de parking, la moitié doit être pré-équipée. Pour les copropriétés dont le permis de construire a été déposé après le 11 mars 2021, si le parking compte plus de 10 places, elles doivent toutes être pré-équipées. Une disposition détaillée dans la Loi d’orientation des mobilités (loi Lom) promulguée en décembre 2019 dont l’ambition était de proposer aux Français des transports du quotidien à la fois plus faciles, moins coûteux et plus propres.
Le texte mentionne également la création d’un véritable droit à la prise en habitat collectif ainsi que la possibilité de recharger gratuitement sur son lieu de travail. « Jusqu’à présent, l’une des craintes portait sur la capacité à pouvoir recharger son véhicule électrique en itinérance sur de longs trajets », résume Didier BAGNON, responsable du domaine d’activité « Distribution généraliste » et responsable du pôle « Support client » chez Michaud, un des spécialistes français des solutions de branchement collectif. « Si l’objectif très médiatisé de déployer des bornes sur les voies publiques et les aires d’autoroute a été atteint, rappelle-t-il, cela ne représente toutefois qu’une infime partie de l’iceberg. Ce qui est désormais impactant, c’est de pouvoir recharger son véhicule à domicile. En maison individuelle, la solution simple consiste à installer une borne raccordée au compteur électrique. En copropriété, avec des parkings qui sont soit souterrains soit extérieurs, il s’agit de mettre en place une véritable infrastructure connectée qui est beaucoup plus complexe d’un point de vue administratif mais aussi technique. Il est en effet impossible de se contenter de faire descendre une liaison depuis son compteur individuel en appartement jusque sur la place de stationnement. Il faut donc trouver d’autres solutions pour massifier et permettre à tous les occupants de disposer de points de recharge. »
Opérateur privé versus gestionnaire public de réseau
Dans un livre blanc intitulé Tout savoir sur les infrastructures de recharge en copropriété(1) et publié en mai 2023, la société Michaud s’interroge : « Le droit à la prise, un concept dépassé ? » Introduit par le décret n° 2011-873 du 25 juillet 2011, puis élargi par le décret n° 2020-1720 du 24 décembre 2020 à compter du 1er janvier 2021, ce droit est encadré par des textes qui stipulent que tout utilisateur de véhicule électrique résidant dans une monopropriété ou une copropriété peut faire valoir un droit à la prise pour installer à ses frais une solution de recharge sur sa place de parking. « Dans la pratique, la mise en œuvre d’un droit à la prise consiste le plus souvent en un point de recharge raccordé au compteur des parties communes de l’immeuble, note la publication de Michaud. Elle nécessite aussi l’installation d’une solution de sous-comptage permettant une refacturation des consommations de ce point de recharge à l’utilisateur. Le droit à la prise doit être vu comme une solution individuelle répondant à un besoin limité en termes de puissance, ce qui n’est plus adapté à la demande qui sera forcément croissante. Pour répondre aux enjeux du véhicule électrique en copropriété, il convient aujourd’hui de s’orienter vers des solutions collectives, c’est-à-dire des solutions adaptées à l’installation d’un grand nombre de points de recharge, voire à l’électrification complète des places de parking de l’immeuble. »
Pour étendre les infrastructures de recharge dans les parkings des copropriétés, deux solutions techniques sont aujourd’hui disponibles. La première consiste à faire appel à un opérateur de recharge qui installe à ses frais un nouveau comptage dissocié des communs qui permet de desservir les places de parking. L’opérateur qui se charge de la souscription du nouveau point de livraison, de l’installation des bornes ainsi que de la facturation du service de recharge va facturer sa prestation sous la forme d’un abonnement ou d’une facturation au niveau réel. Ce modèle privé peut s’apparenter dans un autre domaine à celui de la téléphonie mobile dont il a par ailleurs emprunté une partie du vocable comme le nombre de mégas utilisables ou la notion de forfait pour engranger de nouveaux abonnés. La seconde solution (qualifiée de « publique ») est basée sur la réalisation d’une extension du réseau public de distribution à l’intérieur du parking. Une colonne montante horizontale – par opposition à la colonne verticale située dans les logements – est déployée avec un raccordement qui peut être fait au choix au pied de la colonne des usages classiques, sur un Coupe-circuit principal collectif (CCPC) commun ou sur un CCPC dédié. Par rapport à la solution précédente, il s’agit ici d’alimenter les places de stationnement de la même manière que les logements avec un point de livraison et donc de comptage individuel à chaque place. Avec cette option, le copropriétaire consomme et paie les kWh consommés de la même manière qu’il le ferait dans son appartement. Et ce, sans frais annexes en disposant simplement d’un autre abonnement. Pour Sébastien MAUGER, directeur général du bureau d’études Start and Soon et expert « Sécurité électrique en copropriété et immeuble mixte », « une colonne montante est initialement conçue pour alimenter les appartements et lorsqu’un opérateur propose sa solution, il ne crée pas un nouveau point depuis le réseau public. Il vient en effet se greffer sur les organes existants en créant une sorte de dérivation pour alimenter de nouveaux besoins, dans la limite de la puissance possible et soutirable sur l’ouvrage déjà en place qu’est la colonne. Cette solution de raccordement est cependant limitée par les sections de matériel électrique mais aussi par les postes de distribution. »
La colonne horizontale – en créant du réseau supplémentaire dédié aux IRVE – est pour sa part pensée sur le long terme. Comme l’explique Frédéric VERROUST, président du bureau d’études techniques parisien BETEP, « la solution des opérateurs est centralisée avec des points de charge qui sont du sous-comptage tandis que celle du gestionnaire de réseau est décentralisée exactement de la même manière que pour alimenter des logements dans les étages. Le métier de l’opérateur privé consiste à faire de la métrologie qui calcule la puissance consommée sur le compteur principal et la puissance consommée sur des sous comptages puis facture la différence. » Avantage de la solution de réseau public de distribution : chaque utilisateur est libre de choisir son fournisseur d’énergie ainsi que son modèle de borne et son installateur.
Une réglementation favorable au déploiement des IRVE
Une donnée pas si anodine que cela. En effet, lorsqu’une copropriété fait le choix d’un opérateur privé, celui-ci s’impose à l’ensemble des résidents, impliquant de ce fait un choix restreint en termes de contrat, de borne ou de prix. « Ce système est souvent vu par les copropriétés comme un frein à l’équipement de leurs parkings car elles ont l’impression d’engager les propriétaires avec une société en particulier, estime Didier BAGNON. C’est un peu comme si en assemblée générale, on imposait aux résidents de choisir entre un abonnement Netflix ou un abonnement Canal +. » Malgré tout, le choix d’un opérateur privé a certaines vertus, notamment pour répondre à un besoin à court et moyen termes de création d’un point de livraison rapide ne nécessitant qu’une opération simple de comptage pour quelques véhicules raccordés. Problème : au fur et à mesure de la demande, le besoin de puissance évolue et nécessite des raccordements supplémentaires. « Les besoins accrus de puissance et de comptage ont un impact direct sur la colonne électrique existante ce qui pose la limite des points de recharge proposés par les opérateurs, juge Sébastien MAUGER. Pour cette raison, le gestionnaire Enedis a créé sa colonne horizontale avec tous les équipements de sécurité mis en place. Il s’agit là d’une véritable infrastructure de réseau qui à long terme répond à l’enjeu de massification. En effet, dès lors que cet ouvrage est mis en service, il est pensé pour alimenter 100 % des places de stationnement. »
Ce n’est donc pas un hasard si le législateur s’est emparé du sujet en 2021 dans le cadre de la loi « Climat et Résilience » avec la publication le 21 septembre 2022 d’un décret destiné à faciliter le développement des infrastructures de recharge en copropriété. Le texte communément appelé « Décret pré-équipement » et dont les deux arrêtés techniques d’application sont parus le 2 juin 2023 prévoit un dispositif de préfinancement qui facilite la décision en assemblée générale de copropriété puisqu’il ramène le reste à charge, pour la copropriété, à zéro euro. Objectif affiché : faire porter les coûts d’installation d’une infrastructure collective de recharge non pas sur la copropriété mais sur les seuls utilisateurs. Dans la pratique, le gestionnaire de réseau Enedis avance à la copropriété les frais d’installation et de raccordement d’une infrastructure collective dans le parking. Les copropriétaires demandent ensuite le raccordement de leur place individuelle de parking à cette nouvelle installation collective et versent à Enedis une contribution au coût de l’infrastructure collective. Les résidents devront ensuite installer et financer la borne individuelle en souscrivant un contrat d’électricité avec le fournisseur de leur choix.
Dans ce contexte, la recharge à domicile apparaît comme un enjeu majeur de politique publique qui dépasse largement le cadre privé. « Désormais, il est beaucoup plus simple pour les copropriétés de s‘équiper en IRVE car la réglementation est très favorable à leur massification, constate Didier BAGNON. Tout d’abord, avec la loi “Climat et Résilience”, seule la majorité simple des copropriétaires présents à l’assemblée générale est requise pour valider un projet d’équipement d’infrastructure collective. Par ailleurs, les mécanismes de financement de l’infrastructure tels que désormais pensés sont justes car ne payent que ceux qui souhaitent un raccordement. Enfin, le reste à charge pour les copropriétaires est aujourd’hui peu élevé, y compris dans le cas d’un financement direct par la copropriété. Tous ces éléments poussent ainsi au développement des IRVE, d’autant que la valeur patrimoniale d’un bien immobilier va dépendre de plus en plus de la présence ou non d’une borne de recharge. Investir aujourd’hui, même modiquement, c’est garantir qu’un logement ne perdra pas demain de valeur à la revente. » Mais équiper sa place de parking nécessite aussi de se pencher sur une donnée centrale qui est au cœur du déploiement des IRVE : la puissance de charge qui est en lien avec le temps de charge. Laquelle puissance aura en sus une influence directe sur l’infrastructure électrique mise en œuvre.
Du bon dimensionnement des installations
La plupart des véhicules électriques sont équipés de batteries allant d’une trentaine de kW pour les modèles les plus basiques à plus de 100 kW pour les berlines haut de gamme. Pour obtenir un temps de charge raisonnable, la borne de 7,4 kW en monophasé est la solution la plus souvent retenue. Le 11 kW est également proposé pour les routières, tandis que le 3,7 kW devient plus rare. Les bornes de charge rapide (disponibles notamment sur les autoroutes) affichent des puissances à partir de 22 kW. « Une borne de recharge, ce n’est jamais qu’une prise électrique qui possède une protection de 40 A, rappelle Frédéric VERROUST. Tous les logements possèdent déjà du 32 A pour de simples plaques de cuisson sans que cela ne soit vu comme rédhibitoire à une installation. Toutefois, la charge rapide n’est pas adaptée à la copropriété, l’objectif étant d’effectuer une charge lente avec une puissance maximale de 7,4 kW en monophasé voire en triphasé 22 kW pour les taxis et les ambulances par exemple. Dans la colonne montante, chacun a son propre compteur avec une charge normale de 7,4 kW, ce qui correspond quasiment à la puissance dans les appartements qui est globalement de 6 ou 9 kW. » La mise en place d’une IRVE nécessitera d’amener de la puissance complémentaire en renforçant le réseau.
Toutefois, le principe consiste à utiliser le décalage de la charge afin de ne pas surdimensionner les installations électriques. « Le pilotage permet de dimensionner les installations au plus juste en partant du principe que le soir dans un parking, les véhicules n’arrivent pas tous avec le même niveau de charge batterie, explique Xavier BERNARD, responsable de projet bâtiment à l’Agence qualité construction (AQC). Avec un système de pilotage performant au niveau du compteur des services généraux qui identifie les niveaux de charge des véhicules, une puissance électrique d’1 kVA par borne est généralement admise et est suffisante pour garantir que le matin, les véhicules quitteront leur place chargés. En matière d’IRVE, il faut toujours penser à l’infrastructure intelligente et pas seulement à l’infrastructure qui consiste en résumé en un gros tuyau qui envoie de la puissance. Cette vision est aujourd’hui dépassée. Il s’agit désormais d’optimiser l’installation de chaque immeuble tout en assurant la demande des consommateurs grâce au pilotage. Dans certains cas, grâce au pilotage, il est même envisageable de ne pas avoir besoin de puissance supplémentaire au compteur des services généraux. »
Un point de vue qui rejoint celui d’Enedis qui, face à l’augmentation des demandes de raccordement, se pose la question de savoir si ses transformateurs seront capables de supporter les appels supplémentaires de puissances. D’après les calculs établis par RTE (Réseau de transport d’électricité) et EDF, le basculement complet du parc de véhicules thermiques au tout électrique nécessiterait une production de 15 % à 20 % supplémentaire. Mais c’est sans compter sur le décalage de la charge. « Classiquement, dans un bâtiment, un câble vient de la rue et alimente les logements avec des pointes de puissance consommée le matin et en soirée, indique Frédéric VERROUST. En incitant les habitants à charger leur véhicule en période de creux, on évite le pic en production instantanée. Demain, un logement aura une seule facture qui comprendra également la consommation de la borne de recharge. Les deux compteurs auront une puissance couplée qui ne devra pas être dépassée et qui sera stipulée dans l’abonnement, comme c’est déjà le cas aujourd’hui dans une souscription classique. » Mais choisir la bonne puissance en fonction des besoins n’est pas qu’un enjeu lié à la recharge.
Une attestation de conformité obligatoire pour les installateurs
En matière de branchements électriques, la notion de sécurité est primordiale tant lors de la mise en œuvre des infrastructures que de leur usage. Pour encadrer le développement de ces installations, le Comité national pour la sécurité des usagers d’électricité (Consuel) est ainsi chargé de vérifier la sécurité des installations électriques intérieures avant le raccordement au réseau public de distribution. Reconnue d’utilité publique depuis 2004, la structure associative oblige ainsi l’auteur des travaux de toute nouvelle installation à présenter une attestation de conformité qu’elle est seule en France à pouvoir viser. Dans ce cadre, les IRVE sont donc tout naturellement concernées puisqu’il s’agit de créer un nouveau point de livraison. Requise par le Code de l’énergie et l’article D342-19, l’attestation de conformité a évolué avec le décret IRVE du 4 mai 2021 qui impose dans certaines conditions – et ce, même dans le cas d’un raccordement indirect – la présentation de ce document par l’installateur à son client. En clair : toute première borne de charge installée requiert la présentation d’une attestation obligatoire. « Historiquement, le raccordement direct, c’est-à-dire la création d’un nouveau point de livraison, a toujours exigé une attestation de conformité, et c’est aujourd’hui également le cas pour les raccordements indirects qui viennent se greffer aux services généraux en créant des bornes de recharge, souligne Elika SAIDI-CHALOPIN, responsable du service technique au Consuel. Dans le cadre du droit à la prise dans le résidentiel collectif, le raccordement est généralement indirect mais la solution de colonne horizontale proposée par le gestionnaire de réseau Enedis fait basculer la solution dans le raccordement direct. Chaque point de charge doit ainsi présenter une attestation de conformité. Il y a en effet création d’un nouveau compteur, d’un nouveau point de livraison et, de fait, d’un nouveau contrat avec un fournisseur d’énergie. Cette exigence existe car dans les immeubles d’habitation construits avant les années soixante-dix, certains étaient dépourvus de prise de terre qui est pourtant un élément fondamental de sécurité pour les personnes car elle permet de prévenir des risques d’électrisation. Le réglementaire veut donc s’assurer que la première borne qui s’installe en collectif ne consiste pas seulement en un simple circuit pour se raccorder et doit s’assurer que les travaux nécessaires à la sécurité des personnes sont garantis. »
Mais le risque d’électrisation n’est pas le seul lié à de nouvelles installations électriques et que souhaite prévenir l’attestation de conformité Consuel. Celui d’échauffement donc d’incendie en cas de surcharge en est un autre. En effet, lorsqu’une puissance trop importante est soutirée, un câble d’alimentation qui n’est pas correctement dimensionné peut engendrer des échauffements anormaux et conduire à augmenter le risque incendie en cas notamment d’épisodes de court-circuit. Par ailleurs, une autre exigence a été introduite dans le décret IRVE de mai 2021 qui porte sur le volet de la puissance électrique disponible dans les parkings. Afin de ne pas saturer l’infrastructure au fur et à mesure du raccordement progressif des copropriétaires, la réglementation impose qu’au-delà d’une puissance de raccordement supérieure à 36 kVA, l’installation passe de puissance limitée à puissance surveillée. Dans ce cas, elle demande une attestation de conformité. « Avec une installation en puissance limitée, un fusible est présent pour éviter le risque de court-circuit. Mais passé ce palier technique, ce risque augmente de manière très importante, admet Elika SAIDI-CHALOPIN. Dans ce cas, l’installateur doit refaire des calculs pour protéger l’installation et renforcer le tableau électrique. L’idée sous-jacente est de permettre au gestionnaire du réseau d’avoir une évolutivité de ces installations sans pour autant que les frais engendrés augmentent fortement pour ceux qui se raccordent au seuil de la puissance limitée. » Concrètement, à partir de 7 ou 8 bornes et partant d’une puissance de charge par véhicule de 3,7 kW, le passage à la puissance surveillée est acté. Dans les copropriétés importantes, ce seuil est facilement atteint. « Il faut être conscient que la borne IRVE n’est pas n’importe quelle installation électrique, tient à rappeler Elika SAIDI-CHALOPIN. Pour cette raison, les pouvoirs publics veulent garantir que la filière électromobilité s’organise. Cela explique le dispositif de qualification, de formation et de contrôle au travers de l’attestation Consuel. » Y compris pour prévenir d’éventuels sinistres, et notamment le risque incendie.
La sécurité incendie scrutée à la loupe
Dans un rapport daté de juillet 2022, le Conseil général de l’environnement et du développement durable (le CGEDD), transformé en Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD placée sous l’autorité du ministre chargé de l’environnement), aborde ainsi de manière approfondie une thématique primordiale concernant le déploiement des IRVE : la sécurité incendie. Dans ce document intitulé Le renforcement de la protection incendie dans les parkings couverts et le déploiement des bornes de recharge électrique(2), les auteurs dissèquent le risque engendré par des véhicules électriques en cas de départ de feu. Selon ce document, il convient de relativiser très fortement ce risque. En clair : le sujet doit être regardé de près, mais sans créer de psychose. D’après les analyses conduites par la mission d’information, le véhicule électrique présente des risques d’incendie comparables en termes de probabilité, d’occurrence et de gravité avec ceux des véhicules thermiques. Faute de statistiques réalisées en France, le rapport du CGEDD précise que les résultats des études menées aux États-Unis font état d’une probabilité d’incendie moins élevée pour les véhicules électriques que pour les véhicules thermiques, et légèrement supérieure pour les véhicules hybrides. Selon les données compilées par les rédacteurs du rapport, « les voitures à moteur thermique ont déclenché 199 533 incendies en 2020 aux États-Unis, contre 16 051 pour les hybrides, et seulement 52 pour les véhicules électriques. Par rapport aux ventes de ces différents types de véhicules, il s’est donc produit 25 incendies pour 100 000 véhicules électriques soit un chiffre très inférieur à celui des véhicules thermiques : 1 529 départs de feux pour 100 000 véhicules thermiques vendus. En revanche, les véhicules hybrides ont conduit à un nombre supérieur d’incendies : 3 474 incendies pour 100 000 véhicules hybrides vendus. »
Toutefois, le CGEDD précise que le véhicule électrique comporte des batteries qui peuvent engendrer des phénomènes de court-circuit et d’emballement thermique ainsi que des départs de feu. La batterie peut être également sujette à des défauts de fabrication, à des chocs, à des infiltrations d’eau et à des surcharges électriques pouvant conduire à un incendie. La mission recommande ainsi de ne pas stationner un véhicule électrique dans un parc de stationnement couvert sans vérification préalable de l’état de la batterie après un choc ayant entraîné le déclenchement d’un ou de plusieurs airbags. En conclusion, les auteurs reconnaissent que « la possibilité d’un départ de feu lié à la présence d’un véhicule électrique dans un parc de stationnement ne peut donc être écartée, ne serait-ce qu’en raison des incendies d’origine criminelle. » Et ce d’autant que le comportement au feu des véhicules électriques diffère de celui des modèles thermiques principalement en raison de la durée de l’incendie qui peut atteindre plusieurs heures contre quelques dizaines de minutes pour un véhicule thermique. De plus, ces incendies sont difficiles à éteindre avec des cas de reprise de feu plusieurs heures voire plusieurs jours après une première extinction.
Pour le CGEDD, la probabilité d’incendie à l’amont de la borne de recharge est bien couverte par les normes et la réglementation existantes. À condition cependant que la recharge utilise une installation prévue à cet effet. Le décret du 4 mai 2021 portant sur l’habilitation des professionnels pour conduire des travaux ainsi que l’obtention d’un certificat de conformité Consuel sont salués comme des garde-fous efficaces pour encadrer les risques. C’est aussi le point de vue de Xavier BERNARD pour qui la sécurité incendie des immeubles collectifs est une question importante. Si importante que l’AQC a pris les devants avec la publication d’ici fin 2023 de deux plaquettes à destination des professionnels et des particuliers pour les guider dans le choix de l’infrastructure de recharge adaptée. Une démarche inédite conduite en partenariat avec l’Anil (Agence nationale pour l’information sur le logement) et l’INC (Institut national de la consommation). « Habituellement, l’AQC travaille après coup avec une analyse des sinistres et des préconisations associées afin de les limiter, confirme Xavier BERNARD. L’IRVE est donc un sujet à part pour l’Agence. Compte tenu de l’exigence environnementale avec la fin de la commercialisation des moteurs thermiques en 2035, nous souhaitons très en amont faire passer quelques messages basés sur les bonnes pratiques actuelles. Bien que nous n’ayons pas encore de retours de sinistralité ni de chiffres encore précis, nous observons avec une grande attention un marché en pleine expansion et qui revêt de forts enjeux notamment au niveau bâtimentaire. Il s’agit donc d’anticiper d’éventuelles malfaçons et mauvaises pratiques qui pourraient notamment conduire à des incendies. »
Si le risque d’incendie ne concerne pas en premier lieu l’installation mais le véhicule en lui-même en raison de sa batterie embarquée, pour autant, déterminer la puissance adéquate est primordial. « Nous souhaitons éviter que dans les copropriétés, chacun descende son alimentation électrique à partir de son compteur situé dans son appartement, prévient Xavier BERNARD. Si cette option est légale, cela fait toutefois courir des risques d’incendie pour la collectivité car plus la longueur de câble est importante entre le compteur électrique de l’appartement et la borne en sous-sol, plus il y a de perte en ligne et plus l’échauffement tend à augmenter. Du reste, les gaines techniques d’immeubles ne sont pas conçues pour supporter de telles installations. Le sujet des IRVE dans l’habitat est d’autant plus sensible que contrairement aux ERP, il n’existe pas de réglementation incendie sur ce segment. » Deux solutions pourraient être envisagées dans les parkings souterrains pour répondre à la problématique des départs de feu : le sprinklage ou la mise en place d’une colonne sèche. Face au coût engendré par de telles options techniques, la prudence reste pour l’heure de mise.
Pour les assureurs, la prudence est de mise
La sécurité incendie dans les parkings équipés d’IRVE doit être observée avec la plus grande attention : c’est en substance le message de France Assureurs, la fédération qui rassemble l’ensemble des entreprises d’assurance et de réassurance opérant en France. Soit 252 sociétés représentant plus de 99 % du marché global de l’assurance. L’organisme professionnel dont l’une des missions est de promouvoir les actions de prévention regarde ainsi de très près le déploiement des bornes de recharge dans les copropriétés. Sa position est pour l’heure un appel à la prudence. « Les caractéristiques des véhicules ont évolué ces dernières années car ils comportent davantage de plastique et leurs gabarits sont plus larges que les anciens véhicules, ce qui réduit l’espace entre deux véhicules garés, précise Franck LE VALLOIS, directeur général de France Assureurs. Dans ces conditions, un incendie qui surviendrait pourrait se propager à de nombreux véhicules et endommager la structure du parking. »
Face à ce constat, France Assureurs propose ainsi des pistes de réflexion et des actions très concrètes à mener pour mieux encadrer la mise en œuvre des infrastructures : « Il nous paraît nécessaire que l’ensemble des parties prenantes concernées mène une réflexion collective spécifique sur cette problématique de la sécurité face aux risques d’incendie de voitures dans les parkings, poursuit Franck LE VALLOIS. Nous préconisons dès lors de renforcer les normes actuelles. Par ailleurs, en cas d’incendie d’un véhicule électrique ou hybride, l’intervention des pompiers s’avère très délicate et demande des moyens d’intervention particuliers, notamment parce qu’il faut souvent extraire le véhicule et l’immerger pour éviter ou maîtriser l’emballement thermique de la batterie. Pour cette raison, la délimitation d’un espace dédié aux IRVE à l’écart des autres véhicules et doté d’un accès vers l’extérieur pour faciliter l’intervention des pompiers semble une proposition pertinente. » 📒