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Surchauffes estivales – Quelles solutions pour rafraîchir la ville ?

Revue Qualité Construction N°203 - Mars/Avril 2024
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2023 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée. Les élus et les services des collectivités territoriales prennent de plus en plus au sérieux les conséquences du dérèglement climatique. La lutte contre les îlots de chaleur s’avère aujourd’hui prioritaire si l’on veut des villes résilientes et vivables à l’heure où les canicules augmentent en nombre, en durée et en intensité. Tour d’horizon des initiatives locales et des solutions mises en œuvre pour contribuer au rafraîchissement urbain naturel.

Il faut nous préparer dès maintenant à un ré­chauf­fement climatique de + 4 °C. Si notre incurie collective continue à nous faire préférer les énergies fossiles, les grosses voitures, les passoires thermiques, le bitume et le minéral, le climat de nos villes en métropole sera comparable au climat actuel du sud de l’Europe ou du Maghreb. En moins supportable même, si nous n’anticipons pas la mise en place des solutions inspirées par l’expérience millénaire des villes du Sud.

Anticiper +4 °C de réchauffement climatique

« Toulouse est particulièrement exposée au réchauffement climatique et le ressent déjà nettement, note Stéphane BÉQUET, directeur des projets de transitions et chef de projet “Toulouse plus fraîche” et “Sobriété de l’Administration” de la ville de Toulouse : des records de chaleur ont été battus en 2023, 42,4 °C en journée et 27,4 °C au réveil le 24 août. Les prévisions pour 2050 sont là : deux fois plus de nuits tropicales que maintenant, 50 jours par an où la température dépassera 23 °C au lever du jour ! De 800 mm au XXe siècle, la pluviométrie tombée à 650 mm en 2023 pourrait atteindre 570 mm, avec une augmentation du nombre de périodes de sécheresses s’étalant sur plusieurs mois. Mais la canicule n’affecte pas que les humains, nos infrastructures et nos réseaux sont impactés, vulnérables à des événements extrêmes. Les arbres doivent jouer leur rôle de climatiseurs locaux pour rafraîchir nos nuits. »

Quant aux Îlots de chaleur urbain (ICU), véritables défis pour les villes, Stéphane BÉQUET confie que « ce phénomène nocturne bien connu est suivi à Toulouse. Il exprime les différences de températures entre nos cœurs de villes, fortement minéralisés, et les espaces alentours extérieurs, végétalisés. Il résulte du stockage de chaleur en journée, sous l’effet du rayonnement solaire, de nos matériaux. Ainsi, lors de la canicule de 2023 à Toulouse, il a été mesuré, à 20 h 00, 39,5 °C en centre-ville et 37,2 °C dans la plus grande forêt en périphérie. À 22 h 00, la ville était encore à 36 °C alors que la forêt affichait des valeurs en deçà de 30 °C. »

Mettre en place une stratégie

« Comment repenser la ville pour faire face à cette nouvelle donne climatique ?(1) » Stéphane BÉQUET détaille le plan d’actions de sa collectivité : « Tout en continuant les efforts d’atténuation du réchauffement par la réduction des émissions de CO2 et de gaz à effet de serre, adapter la ville devient indispensable. La demande du maire, Jean-Luc Moudenc, a été le déploiement d’un plan complet de rafraîchissement de la ville depuis 2023. Nous avons recruté un climatologue-urbaniste et c’est ensemble et avec nos ressources internes ainsi que l’appui de l’Ademe que nous déployons un plan annuel et préparons une stratégie 2024-2030. Il s’agit d’embarquer les agents de la ville, les promoteurs, les Architectes des bâtiments de France… au service des 400 000 habitants de la ville. Notre plan démarre avec un grand volet d’expérimentations. Chaque expérience (peindre en blanc des toits-terrasses, végétaliser des murs…) est monitorée pour en mesurer l’impact, avant d’être généralisée ou pas. En 2023, nous avons testé diverses ombrières, comme un ciel de rue en rubans, qui abaisse la température ressentie dans la rue de 2 °C, des toiles tendues anti-UV et des pergolas qui permettent de gagner jusqu’à 5 °C sur le ressenti par rapport aux espaces environnants. » Le plan d’actions de la ville de Toulouse repose sur trois axes : « Premièrement, celui de la végétation haute irriguée, pour l’ombrage et l’évapotranspiration. Deuxièmement, la désimperméabilisation des sols. Troisièmement, l’albédo(2). Nous menons des études pour mesurer l’effort à accomplir. Combien faut-il de végétation haute pour gagner - 1 degré d’îlot de chaleur urbain ? Quelle évolution de l’albédo pour un gain supplémentaire de - 1 degré ? Quelle surface à désimperméabiliser pour gagner - 1 degré supplémentaire ? Quel est l’impact de chaque action ? C’est un marathon de l’adaptation, une démarche apprenante que nous engageons avec les citoyens. »

Stéphane BÉQUET insiste sur la méthode collaborative, notamment pour faire évoluer des opérations d’aménagement projetées : « Deux fois par an, nous effectuons une revue des projets sur les trois axes végétalisation, irrigation et albédo. En équipe pluridisciplinaire, nous avons déjà fait bouger 109 opérations sur 180 passées en revue, sur au moins un des trois critères. Il s’agit de trouver ensemble de nouvelles solutions opérationnelles, infuser un état d’esprit, et travailler en transversalité totale. La nécessité d’adaptation implique un changement d’attitude dans l’approche des aménagements. »

“Cecil KONIJNENDIJK a démontré en 2021 le gain de santé mentale apporté par le principe des 3-30-300  : voir au moins 3 arbres depuis son logement, vivre dans un quartier avec une couverture arborée de 30 % minimum et vivre à 300 m maximum d’un parc ou d’une forêt”

(1)Extrait du document Îlots de chaleur urbains – Quelles solutions pour que nos villes restent vivables ? (janvier 2024), publié par l’École supérieure des travaux publics (ESTP).
(2)L’albédo (grandeur sans unité) mesure le pouvoir réfléchissant d’un corps. Il varie entre 0 (corps noir) et 1 (miroir).

Solutions d’ombrage transitoires…

Éric LARREY est directeur de l’innovation de Verdi Ingénierie. Il apporte son analyse sur les stratégies de végétalisation des villes : « Beaucoup de collectivités demandent une logique avant de végétaliser. Pour fournir aux habitants un lieu de fraîcheur à cinq minutes à pied maximum, il faut avoir une vue d’ensemble. La stratégie de végétalisation demande de savoir quels sont les lieux d’habitation et les activités qui manquent de végétalisation. Attention à la paupérisation des cœurs de villes peu végétalisés devenus des îlots de chaleur. Attention aussi à la sensibilité à la chaleur en fonction de l’âge de la population. L’action publique doit toucher beaucoup de monde, ne pas prendre chaque projet indépendamment des autres. Avant de refaire tel lieu, il faut que l’assistance à maîtrise d’ouvrage étudie l’état initial, le projet de la maîtrise d’œuvre, simule les états projetés l’année N+2, N+3, et définisse les mesures pour vérifier les résultats attendus. »

Clément GAILLARD, fondateur du bureau d’études Freio spécialisé dans le design climatique, introduit dans la réflexion sur le climat urbain les notions de temporalité et de ressenti : « Un arbre adulte apporte un bel ombrage. Mais un arbre n’est jamais planté adulte. Les habitants d’un immeuble avec des chambres à l’ouest, surchauffées par un ensoleillement en fin de journée, ne pourront pas attendre 15 ou 20 ans que les arbres de 3 m à peine plantés dans le parc voisin les protègent. Il faut donc penser des solutions d’ombrage transitoires comme des pergolas, des voiles, des masques extérieurs. La programmation urbaine doit prendre en compte l’occupation temporelle, pour que l’ombrage colle avec l’utilisation du lieu. Les moyens simples de toiles et de ciels de rue permettent de voir et d’entendre le vent, ce qui apporte un ressenti psychologique de fraîcheur. Entendre des chants d’oiseaux est aussi un levier de bien-être psychologique, comme la vision des arbres. Le chercheur néerlandais Cecil KONIJNENDIJK a d’ailleurs démontré en 2021 le gain de santé mentale apporté par le principe des “3-30-300” : voir au moins 3 arbres depuis son logement, vivre dans un quartier avec une couverture arborée de 30 % minimum et vivre à 300 m maximum d’un parc ou d’une forêt. »

Jour/nuit  : deux problématiques bien différentes

Avant de fonder le bureau d’études Arbre, Ville & Paysage­, Frédéric SÉGUR a piloté pendant plus de trente ans les stratégies de renaturation et d’adaptation au changement climatique de la Métropole de Lyon. En pédagogue expérimenté, il fait remarquer qu’on rattache sous le terme d’îlot de chaleur urbain deux problématiques bien différentes. « L’inconfort thermique le jour est le même dans une ville ou un village soumis à la même insolation. Le problème est réglé localement par un arbre qui apporte une ombre locale et diminue la température ressentie sans changer la température de l’air. L’inconfort thermique diurne se règle donc localement par l’ombrage. Cet inconfort diurne concerne tout le monde, mais il appelle des moyens de lutte localisés. Cela n’a pas grand-chose à voir avec les ICU, liés à l’accumulation de chaleur sur tout un territoire. »

Les ICU traduisent l’incapacité d’un milieu très urbanisé à évacuer la chaleur accumulée toute la journée. « L’accumulation de chaleur dépend de la taille et de la forme urbaine, mais aussi de l’évacuation de l’air chaud en fonction de la morphologie du territoire, complète Frédéric SÉGUR. L’inconfort thermique dans l’îlot de chaleur se manifeste surtout la nuit. Il demande une réflexion territoriale, pas locale. Par exemple, prenez un quartier très vert à côté d’une zone industrielle à 60 °C le jour. La nuit, un simple petit courant d’air pourra amener dans le quartier voisin l’air surchauffé de la zone industrielle. La réflexion sur les ICU doit être globale : envisager l’ensemble du territoire pour moins d’accumulation et moins de relargage de la chaleur. Soulignons aussi que la climatisation qui renvoie l’air chaud de l’intérieur des bâtiments vers l’extérieur génère un cercle vicieux de réchauffement urbain. »

Le levier de l’albédo

Un des leviers envisagés pour lutter contre l’accumulation de chaleur solaire dans les masses minérales des constructions et des voiries est l’utilisation de matériaux ou de revêtements clairs, ou blancs, voire réfléchissants(3). Par exemple, la ville de Cuers (83) a testé en 2023 deux types d’enrobés clairs pour la voirie et les trottoirs du centre-ville. « Au cœur du village, l’étroitesse des rues ne permet pas les plantations, explique Filipe DA COSTA NIZA, directeur du centre technique municipal. En remplacement de l’enrobé noir qui pouvait dépasser 50 °C en plein soleil, nous avons testé pour la chaussée un enrobé pétrolier clair d’Eiffage. Mais cela ne fonctionne pas avec notre climat sec : l’encrassement rapide par les pneus n’est pas lavé par la pluie trop rare. En revanche, pour les trottoirs, une autre solution d’Eiffage – un enrobé ocre clair avec un liant végétal à base de poix – diminue de 5 °C leur température de surface. La difficulté de ces solutions est leur coût : 250 euros la tonne pour l’enrobé pétrolier clair, au lieu de 70 euros la tonne pour l’enrobé noir, et 380 euros la tonne pour l’enrobé clair non-pétrolier. »

La solution de réfléchir le rayonnement solaire arrivant sur les façades et les toitures est pratiquée depuis l’Antiquité dans le bassin méditerranéen. Le badigeon à la chaux est l’archétype des peintures et résines blanches du procédé Cool Roof ou des vêtures métalliques réfléchissantes, qui permettent des abaissements très significatifs de température de surface des matériaux supports. Mais c’est à double tranchant, car pour la rue et les bâtiments en vis-à-vis, vers lesquels le rayon­nement solaire est renvoyé, le jour devient un inconfort thermique supplémentaire. L’avantage est d’abord pour le confort intérieur du bâtiment ainsi protégé, et la nuit par une moindre restitution de chaleur du bâtiment vers l’extérieur.

(3)Lire l’article « Toitures – “Cool roofing” : une technique séduisante à manier avec précaution » publié dans le n° 202 de Qualité Construction (janvier-février 2024).

Le levier de l’ombrage

Pour rendre les journées ensoleillées supportables, il faut de l’ombre. Et pour rendre les nuits supportables, il faut aussi ombrager les surfaces minérales pour éviter l’accumulation de la chaleur apportée par le rayonnement solaire direct. À côté des solutions artificielles (voiles, pergolas, brise-soleil et autres masques architecturaux), les solutions naturelles de végétalisation sont multiples, mais d’efficacité très variable. À la verticale, la couche mince d’une végétation grimpante met les murs à l’ombre. À l’horizontale en revanche, la couche mince d’une pelouse n’apportera aucun ombrage intéressant, contrairement aux arbres. Ainsi, exemple réel, quand un règlement impose un gazon et refuse la plantation d’arbres sur une friche urbaine, il rend cet espace invivable en période chaude.

Une récente étude de l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur), réalisée par Julien BIGORGNE, ingénieur chef de projet, et Yann-Fanch VAULÉON, paysagiste chef de projet, documente précisément l’ombrage produit par la canopée des huit essences d’arbres d’alignement adultes les plus représentées à Paris, en fonction de variables comme l’essence, les situations de plantation, le voisinage direct d’un arbre. L’évolution de la canopée peut être suivie grâce à un « indice de canopée » : rapport de la superficie projetée occupée par la couverture végétale d’une hauteur supérieure à 3 m et la superficie totale de la ville. L’étude indique qu’à Paris en 2015, l’indice de canopée de plus de 3 m était de 14 % sans les bois, et de 21 % avec les bois de Boulogne et de Vincennes. Pour comparer la biodiversité des métropoles, l’ONU utilise l’indice de canopée à 5 m. L’indice de canopée à 8 m, ne prenant en compte que les arbres élevés, rend mieux compte des habitats de qualité pour l’avifaune, et des ombrages de très grande qualité. Schématiquement, un arbre développé peut atténuer dans son ombre 80 % de l’ensoleillement, car le feuillage réfléchit 30 % du rayonnement (albédo 0,3) et l’arbre lui-même en absorbe 50 % par la photosynthèse, la transpiration et l’échauffement de sa masse.

Étagement et «  cheminées  » de ventilation

Toutefois, question ombrage, tous les arbres ne se valent pas. Entre l’ombre profonde et généreuse des marronniers et des tilleuls, et celle plus clairsemée des platanes, des érables ou des sophoras, le ressenti n’est pas le même. La surface de la canopée (la taille du parasol) ne fait pas tout, la densité du feuillage et son épaisseur (les « trous ») comptent aussi. De même, l’espacement entre les arbres est une variable importante permettant ou non de créer un parcours ombragé.
Frédéric SÉGUR alerte : « En créant une canopée trop continue, on risque de faire un couvercle qui évacue moins la chaleur la nuit. L’étagement de la végétation permet de créer des cheminées de ventilation. Implanter des âges différents et des espèces variées apporte une plus grande résilience. »

Les deux experts de l’Apur, Yann-Fanch VAULÉON et Julien BIGORGNE, auteurs de l’étude comparative sur huit essences d’arbres d’alignement(4), resituent la place de l’arbre à Paris dans une perspective historique qui montre bien la diversité des visions des aménageurs et l’évolution des conditions de vie des arbres. Pour Yann-Fanch VAULÉON, « le baron Haussmann a contribué à rendre le climat urbain plus chaud et plus sec, par une urbanisation qui participe à une augmentation de température de façon connue et voulue, à une époque où la ville était environnée de forêts et de prés. Les ormes malades ont été remplacés par des marronniers et des platanes. Le platane marche très bien à Paris. Très plastique, il se taille bien, procure une ombre très agréable. En perdant son écorce, il reste clair malgré la pollution urbaine qui noircit les arbres. À Paris, c’est l’arbre historique, en alignements bilatéraux sur toutes les voiries très larges. Mais à l’époque, il y avait moins de réseaux, beaucoup de ciel et beaucoup de sol. »

“Quand on sait qu’un gros platane développe une surface foliaire équivalente à celle d’un terrain de foot, on saisit l’importance des arbres en ville, particulièrement quand les pelouses sont grillées”

(4)La canopée des arbres plantés sur les espaces publics parisiens – Étude comparative de 8 essences principales (février 2023).

Le levier de l’évapotranspiration

Le jour, pour photosynthétiser, les feuilles absorbent le CO2 et rejettent eau et oxygène par leurs pores, les stomates. L’évaporation de l’eau des feuilles à leur surface a deux effets. D’abord un rafraîchissement de la feuille et de l’air ambiant, phénomène physique très efficace car la chaleur latente d’évaporation de l’eau(5), c’est-à-dire la quantité de chaleur nécessaire pour la faire passer de l’état liquide à l’état gazeux, est la plus élevée de tous les liquides. Ensuite un appel de sève pour la remplacer d’où, par capillarité, une absorption de l’eau du sol par les racines. Un végétal se comporte comme une pompe enterrée surmontée d’un brumisateur. Cette pompe (qui assure l’évaporation) est d’autant plus active que l’eau est disponible dans le sol, que l’air est sec, que le vent est fort, que la luminosité est importante et que la température augmente. Les arbres rechargent leur stock hydrique la nuit par extraction racinaire et perdent ce stock la journée par transpiration. Mais ce système hydraulique est vivant et, pour le rester, possède des régulations biologiques qui permettent l’adaptation à une période sèche. Pour éviter le dessèchement, les plantes refermeront progressivement leurs stomates au-delà de 25 à 30 °C de température de l’air et en deçà d’un seuil normal d’humidité du sol. La transpiration des plantes adaptées à la sécheresse est réduite par la réduction du nombre de feuilles et de la surface foliaire (une aiguille de pin plutôt qu’une feuille étalée du marronnier), par une cuticule plus épaisse, par un nombre réduit de stomates.

Pour les arbres feuillus en climat tempéré, l’ordre de grandeur de la transpiration foliaire est de quelques dizaines à quelques centaines de litres évaporés par jour. L’efficacité du rafraîchissement de l’air par l’évapotranspiration dépend de la masse foliaire, mais l’espèce végétale aussi aura beaucoup d’importance. Les végétaux adaptés à la sécheresse transpirent moins… D’où le dilemme : doit-on implanter des arbres de type méditerranéen qui résisteront mieux à la chaleur mais évaporeront moins, ou ceux adaptés aux climats plus humides et plus frais qui transpireront davantage ? La réponse de Frédéric SÉGUR est pleine de nuances face à la complexité du vivant : « Le choix d’une essence répond à de multiples critères : le sol, l’exposition, les usages, les pathologies végétales, le risque allergique, la subjectivité esthétique… Il y a en plus, également, beaucoup d’inconnues sur les capacités d’adaptation des arbres au changement climatique qui impacte beaucoup les écosystèmes. Attention à exclure le moins possible d’espèces et à diversifier au maximum. Il faut aussi penser à lier intimement la ressource en eau et le végétal, considérer l’eau comme une ressource pour le végétal et le rafraîchissement des villes. En fait, il faut travailler sur les deux tableaux : favoriser l’évapotranspiration et veiller à la résilience des plantations. Il faut rester raisonnable sur l’évapotranspiration, qui représente environ un tiers de l’effet rafraîchissant des arbres, les deux tiers étant apportés par l’ombrage. Et quand on sait qu’un gros platane développe une surface foliaire équivalente à celle d’un terrain de foot, on saisit l’importance des arbres en ville, particulièrement quand les pelouses sont grillées. »

(5)La chaleur latente d’évaporation de l’eau, maintenant dénommée enthalpie de vaporisation, est de 44,22 kJ/mol soit 2 454 kJ/kg à 20 °C.

Des arbres efficaces si…

Yann-Fanch VAULÉON et Julien BIGORGNE (Apur) soulignent que les arbres d’alignement ne sont pas plantés dans un habitat naturel, mais subissent des conditions de vie très contraintes, variables selon leurs emplacements. « Contrairement aux arbres des parcs et jardins, qui ne sont pas taillés, qui poussent dans un sol plus naturel enrichi par la chute des feuilles, les arbres d’alignement, presque considérés comme du mobilier urbain, doivent s’implanter dans une petite fosse, dans des sols urbains très compacts, avec peu de matière organique, parfois constitués de remblais stériles, comportant de nombreux ouvrages et réseaux enterrés, regrette Julien BIGORGNE. L’accès à l’eau est restreint du fait des revêtements imperméables. L’infiltration ne se fait qu’au niveau du pied de l’arbre, quand le nivellement, le revêtement et les bordures le permettent. Les échanges gazeux entre l’air et le sol sont presque absents, pour les mêmes raisons. Les arbres peuvent également être soumis à une luminosité accrue due à l’éclairage public et privé, aux revêtements de sols trop clairs ou aux façades vitrées réfléchissantes, ce qui dérègle le développement foliaire par atrophie ou dessèchement. Le changement climatique fait faire des paris sur l’avenir. On peut planter des espèces très résistantes au climat chaud et sec, mais elles feront moins d’évapotranspiration. Contrainte supplémentaire, à Paris la ville est opposée à l’infiltration des eaux pluviales des toitures et voiries pour éviter la concentration de la pollution au plomb, aux hydrocarbures, aux microparticules. »

Les deux experts insistent sur le soin à apporter au sol de plantation, sur son volume et sa vie microbiologique, sur l’arrosage les premières années, et pointent également le rôle négatif de la taille : « La taille des arbres d’alignement est réglementée par le Code de l’urbanisme, imposant par exemple un élagage à 2 m des façades. Côté voirie, c’est en fonction de la nature de la circulation. La règle depuis 1970 est de laisser la voie libre à partir de la bordure du trottoir, mais le service de l’arbre de Paris a beaucoup relâché cette contrainte sauf pour des critères de sécurité et de défense de certaines voies. La plupart des collectivités diminuent la taille des arbres, passent au port libre, pour des raisons d’écologie, de santé et de finances publiques. »

Frédéric SÉGUR enfonce le clou sur la taille, la conservation et le soin des arbres en place : « La taille est une habitude culturelle contre-nature : les arbres ont vécu 300 millions d’années avant les hommes. C’est contre-productif, cela diminue l’ombrage et ce sont des dépenses publiques contraires à l’adaptation au changement climatique. Il y a beaucoup de pratiques sans justification à la mutilation des arbres. Même dans de rares lieux à enjeux historiques et culturels, il faut relativiser les références historiques. Aux Champs-Élysées, la taille en rideau date de 1990. Or il y a eu trois ou quatre générations d’arbres depuis Le Nôtre ! Il faut moins tailler et mieux protéger les arbres existants. En effet, les grands arbres sont les plus efficaces pour le rafraîchissement, par l’ombrage et l’évapotranspiration, mais il faut 10 à 20 ans pour obtenir un ombrage de qualité. Cela met en lumière que les arbres existants sont efficaces tout de suite. »

“Dans un contexte de densification urbaine, accentuée par les objectifs de sobriété foncière de la loi Climat et Résilience, il faut avoir une réglementation stricte de protection des arbres”

Améliorer les conditions de vie des arbres existants

Pour Frédéric SÉGUR, « il faut optimiser leur entretien, prolonger leur durée de vie, sensibiliser les acteurs à ne pas saccager les arbres matures, et à les protéger lors de travaux. Les plantations ne sont pas des compensations à la destruction d’arbres adultes. Il faudra 50 ans pour retrouver l’effet bénéfique d’un platane mature qu’on abat. Dans un contexte de densification urbaine, accentuée par les objectifs de sobriété foncière de la loi “Climat et Résilience”, il faut avoir une réglementation stricte de protection des arbres. Supprimer le patrimoine arboré entraîne l’intensification des îlots de chaleur. Dans le canton de Genève, tous les arbres de plus de 20 cm de circonférence sont protégés. En plus de les conserver, il faut améliorer les conditions de vie des arbres existants. Un sol tassé, imperméable, pas fertile, c’est moins de développement donc moins d’ombrage. Travailler sur le sol et redynamiser les arbres est un levier de transformation douce. Souvent les villes mettent en avant la plantation de milliers d’arbres. Mais 1 000 arbres plantés aujourd’hui ne sont pas 1 000 arbres bien développés dans 20 ans. Il faut garantir la qualité avec la quantité, sinon ce sont des dépenses inutiles. Un seul arbre de 10 ans avec ses 100 m2 de canopée sera meilleur que 10 jeunes plants morts parce qu’on n’a pas investi dans l’invisible, le sol. Il faut planter moins, mais planter bien. Et mettre le bon arbre au bon endroit. »

Éric LARREY souligne de son côté la technicité nécessaire pour le verdissement des villes, et pour la gestion de l’irrigation des arbres : « Les services de la ville de Mulhouse travaillent sur la mycorhization adaptée à l’essence, et plantent les arbres en tranchée pour favoriser le lien entre réseaux racinaires des arbres. Un arbre en stress hydrique cesse son évapotranspiration, donc le service de rafraîchissement de l’air. La réflexion sur la ressource en eau doit être menée en tenant compte de la concurrence des usages, notamment avec l’eau potable. Les eaux pluviales sont intéressantes, mais peuvent manquer si la sécheresse s’installe. Les eaux usées traitées sont une ressource non conventionnelle très abondante, mais le risque sanitaire interdit leur utilisation par dispersion. »

Revoir l’eau en ville

Remettre la nature dans les métropoles tient parfois des travaux d’Hercule, avec les friches industrielles polluées en guise des écuries d’Augias. Dans les quartiers nord de Marseille, le projet (20 hectares) du futur parc du ruisseau des Aygalades est de cette ampleur. Une coulée verte et bleue prendra la place de l’actuel faisceau ferroviaire du Canet et de la friche industrielle adjacente. Brice CHANDON, responsable « Ingénierie du développement durable » à Euroméditerranée, trace les perspectives de ce grand projet structurant, en cours de réalisation(6) : « Le ruisseau des Aygalades est quasiment canalisé comme un réseau d’assainissement. Le projet est de retrouver le lit naturel et d’implanter de la biodiversité végétale sur les rives et 20 m aux abords, pour apporter la fraîcheur aux quartiers environnants. Un premier espace vert sera ouvert au public en 2024, avec l’aménagement de la première phase du parc Bougainville de 4 hectares, à la place d’un site industriel pollué. En 2016, un concours a permis de retenir une proposition innovante de renaturation du site, qui a nécessité une phase de dépollution par biotertre des hydrocarbures du sol(7). Ce parc est conçu comme un espace de promenade, de loisirs et événementiel, avec des grandes pelouses. »

Aujourd’hui, ces espaces verts sont arrosés avec de l’eau potable. « Nous réfléchissons à réutiliser la ressource abondante de la récupération, après trai­tement, des eaux grises des immeubles voisins, complète Brice CHANDON. Mais les contraintes réglementaires, techniques et financières sont nombreuses. Plutôt que des goutte-à-goutte peu robustes et trop superficiels, on s’oriente vers une logique d’aspersion avec de plus gros apports, moins fréquents, pour éviter le développement racinaire en surface. »

Un autre enjeu de ce projet est la qualité des terres végétales et la mise en place d’un processus d’économie circulaire : « À Marseille, il y en a très peu de disponibles. C’est pourquoi nous menons un projet de recherche pour utiliser les terres du site, anciens remblais SNCF, malgré leur manque de fertilité au départ. Nous avons déjà pu expérimenter l’utilisation de composts locaux de biodéchets de cantines et de terres naturelles, issues d’extension de carrières, pour enrichir des apports de sédiments de dragage fluviaux afin de composer une terre fertile à 100 %. Un travail sur les mycorhizes est conduit. Il y a trois enjeux principaux pour remettre la nature en ville en climat méditerranéen : la disponibilité des terres, leur qualité agronomique et la ressource en eau. » La palette végétale prévue pour créer une ripisylve tout au long du ruisseau des Aygalades montre une très grande biodiversité de plantes herbacées, buissons, arbustes et arbres des ripisylves et boisements méditerranéens adaptés à différents sols.

(6)Pour en savoir plus sur le projet de renaturation des berges du ruisseau des Aygalades à Marseille : https://plusfraichemaville.fr.
(7) Lire l’article sur « Friches industrielles : la dépollution des sols, enjeux et solutions » publié dans le n° 191 de Qualité Construction (mars-avril 2022).

Des eaux de voirie traitées

Entourée de falaises et de hautes montagnes, Grenoble est une ville où les canicules sont particulièrement étouffantes. Situation également porteuse de risque d’inondations par ruissellement. Étendu sur un hectare, le parc Ouagadougou apporte depuis 2012 aux quartiers Teysseire et Jouhaux un îlot de fraîcheur ombragé, avec une zone humide alimentée par un habile réseau de collecte des eaux pluviales de voirie, de cheminements piétons et de toitures-terrasses de nouveaux immeubles environnants. Jean-Claude DUBOIS, fondateur de l’agence ADP Dubois, paysagiste mandataire du projet, détaille le parcours de l’eau : « L’eau récupérée du quartier s’écoule gravitairement par des rigoles des toitures et ruelles vers le parc. Il a fallu pour cela renverser le profil des ruelles. Les eaux de voirie sont traitées en entrée à travers un massif filtrant à sable planté de roseaux. Quatre jardins thématiques sont irrigués par de petites rigoles. En partie basse d’une grande pelouse, une zone humide plantée de saules pleureurs, de trembles, et de peupliers, forme un plan d’eau à géométrie variable, capable de retenir une crue trentennale. Diminuer la température ressentie en ville, c’est apporter un espace vert, de l’ombre et de l’eau ludique. L’idée est de dessiner un parcours de l’eau pédagogique. Dans les jardins du parc Ouagadougou, les arbres sont plantés assez serrés pour l’ombre et la fraîcheur, avec l’eau à portée de main. »

Des courants d’air salvateurs

Évacuer la nuit la chaleur accumulée le jour passe par deux phénomènes physiques complémentaires : le rayonnement infrarouge et la circulation des masses d’air. À échelle kilométrique, un ciel dégagé la nuit laisse partir le rayonnement infrarouge dans la haute atmosphère : la nuit sera plus fraîche qu’en cas de couverture nuageuse compacte. Mais à l’échelle de la taille des immeubles, depuis la rue, la vue du ciel est réduite par ceux-ci : la perte de chaleur radiative est contrariée. Reste la brise thermique nocturne qui s’établit entre un îlot de chaleur urbain et une campagne environnante plus froide, l’air plus froid et plus dense s’écoulant au sol en remplaçant l’air chaud et léger qui s’élève au-dessus de la ville. C’est alors que les obstacles à l’écoulement de l’air ralentissent le flux et le rafraîchissement de la ville. Les ruelles étroites auront ainsi plus de mal à évacuer l’air que des rues larges.

Le designer climatique Clément GAILLARD fait des propositions favorisant des courants d’air le jour également. Par exemple, la place de la République à Arles, très minérale, est enclavée au cœur d’un quartier historique aux ruelles étroites. Or un canal se trouve à quelques centaines de mètres, mais il a été recouvert. Découvrir ce canal permettrait de créer par évaporation une source d’air frais, qui pourrait être aspirée par le courant thermique ascendant au-dessus de la place. À plus petite échelle encore, Clément GAILLARD a mis au point un abri piéton utilisant l’effet Venturi pour à la fois mettre à l’ombre et ventiler les personnes s’y reposant. Inspiré de l’abri traditionnel égyptien « madyafa », son « abrise » génère une brise régulière grâce à de multiples petites ouvertures pratiquées dans la façade face au vent dominant, tandis que l’ouverture la plus large sous le vent crée une zone de dépression.

“Le premier combat est de planter des arbres qui feront notre canopée de demain partout où l’on peut, afin de préserver notre patrimoine végétal”

Le levier de la mobilité douce

Un moteur thermique… ça chauffe ! Et ça émet du CO2 et des oxydes d’azote très néfastes pour le climat et la santé. Une route ensoleillée seule émet 20 W/m2. Et 150 W/m2 avec la circulation routière. Limiter les véhicules thermiques en ville et faciliter les déplacements piétons et cyclistes participent à la lutte contre le réchauffement de la ville. Mais encore faut-il que le confort thermique du piéton et du cycliste soit amélioré par de l’ombrage. « C’est l’aménagement qui amène le vélo, affirme Stéphane BÉQUET. Le premier combat est de planter des arbres qui feront notre canopée de demain partout où l’on peut, afin de préserver notre patrimoine végétal. La norme de 2 m de largeur d’un trottoir pour de faible flux piéton peut être inadaptée : on peut laisser 1,40 m pour la circulation des personnes à mobilité réduite en plantant des arbres permettant de donner de l’ombre aux piétons et aux cyclistes si la piste est accolée. »

Après trente années au sein de la Métropole de Lyon, Frédéric SÉGUR souligne les difficultés pour avancer dans les grandes collectivités : « La lutte contre le réchauffement urbain exige un travail transdisciplinaire. Or la collaboration n’est pas facile entre des services dont les métiers sont cloisonnés. Le principal frein est d’avoir une culture commune, un référentiel commun, pour appliquer des solutions multi-usages. » L’expert alerte sur l’indispensable participation des acteurs privés : « 90 % des surfaces urbaines sont privées. De même, 60 à 80 % des surfaces arborées sont sur le domaine privé. Or les enjeux climatiques sont des enjeux de territoire. Si les actions se limitent aux surfaces publiques, ce ne sera pas à la hauteur des enjeux. Cela implique d’accompagner une démarche participative du territoire, avec les entreprises, les copropriétés, les bailleurs et les particuliers. La somme des petits projets augmente la canopée. Vancouver a commencé la plantation d’arbres dès 1990. Mais le taux de canopée a diminué car les destructions d’arbres sur le domaine privé ont été plus rapides que les plantations publiques. On ne peut pas se reposer que sur le public. Il faut aussi une sensibilisation de l’ensemble des acteurs et une protection des arbres privés. » 📒

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« Surchauffes estivales - Quelles solutions pour rafraîchir la ville ? » - Revue Qualité Construction Mars-Avril 2024 de l'AQC