Revue Qualité Construction N°187 - Juillet/Août 2021
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Réduire l’artificialisation des sols et recréer de la disponibilité foncière poussent à la réhabilitation des friches, ces espaces délaissés durablement après un dernier usage souvent polluant. Volonté politique, maîtrise foncière, déconstruction, dépollution, aménagement, patience et longueur de temps sont les maîtres-mots du recyclage des friches, par nature diverses et touchant des projets variés.
Le cap est clair : « zéro artificialisation nette ». L’objectif de l’État exprimé en 2021 par le projet de loi Climat et Résilience souligne l’impératif de réduire la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers, qui s’est élevée à 20 000 hectares par an en France en moyenne entre 2006 et 2016. La reconquête des friches est l’une des solutions pour « construire la ville sur la ville », limiter l’étalement urbain et le mitage des espaces ruraux. Si dans les zones tendues en termes de disponibilité foncière, les opérateurs privés pourront parfois trouver par le marché immobilier un équilibre économique à la réhabilitation de friches, en zone détendue la solution de la construction sur un terrain naturel sera toujours privilégiée par ces acteurs, les coûts de l’opération sur une friche ne pouvant être valorisés commercialement. C’est pourquoi la reconquête des friches a depuis un demi-siècle mobilisé les pouvoirs publics, avec des objectifs et des moyens qui ont bien évolué.
Histoire des friches
Marc KASZYNSKI a dirigé pendant 20 ans l’Établissement public foncier Nord-Pas-de-Calais. Cet ingénieur urbaniste, passé par le ministère de l’Équipement puis celui de l’Écologie, aujourd’hui retraité, préside le Laboratoire d’initiatives foncières et territoriales innovantes (Lifti), réseau national d’experts riche de 300 membres et 40 partenaires, force d’échange et de proposition sur la question foncière(1). Il distingue deux périodes dans l’histoire des friches : l’émergence massive dans les années soixante-dix de friches industrielles et le renouvellement urbain sur les friches depuis les années 2000.
« Depuis les années soixante-dix, les crises du charbon, de la sidérurgie, de la métallurgie, du textile, ont produit en Normandie, dans le Nord-Pas-de-Calais, la Lorraine, la région stéphanoise… des milliers d’hectares de friches industrielles. Suppléant les collectivités locales dépassées par l’ampleur des problèmes, l’État a engagé des politiques de conversion pilotées par la Datar(2). Après la décentralisation de 1982, les contrats de plan État-Région ont été les cadres d’interventions financiers et opérationnels. Créés par l’État, les Établissements publics fonciers (EPF), dédiés aux friches industrielles, sont chargés des acquisitions foncières et du financement des travaux de requalification. Dès 1968 en Normandie et en 1973 en Lorraine, l’État a demandé aux EPF de racheter les bâtiments à reconvertir, avant même la fermeture des activités. La logique de l’État était d’accompagner la conversion industrielle par une réindustrialisation sur des terrains agricoles, pour désinsérer le tissu industriel du tissu urbain. Le résultat est paradoxal : il y a bien conversion économique, mais les EPF rachètent des friches dont ils ne peuvent rien faire. L’inadéquation des cathédrales de la sidérurgie à d’autres activités génère des friches. En Nord-Pas-de-Calais est créé en 1990 un EPF dédié pour traiter sur l’ensemble de la région les sites hors marché, dont 5 000 hectares de friches minières. Epora, Établissement public foncier de l’ouest de Rhône-Alpes, est créé en 1998 pour prendre en charge les anciens sites de l’industrie de l’armement de la région stéphanoise. L’intervention des EPF d’État est cantonnée en général à des travaux dits de remise en état des sites : démolition, déconstruction, désamiantage, purge de fondation, terrassement, traitement de pollution des sols, pré-verdissement et clôture, laissant le soin aux collectivités locales bénéficiaires des sorties de portage foncier d’assurer le réaménagement des sites avec leurs opérateurs publics ou des promoteurs. Dans le sillage de l’Union européenne, dans les années 2000, l’État met l’accent sur l’impact immédiat en termes de création d’emploi et d’entreprises des fonds qu’il alloue. Les grands opérateurs fonciers régionaux doivent poursuivre sur fonds propres la conversion de grands sites industriels déclassés que les crises de restructuration des entreprises continuent de générer. Les problématiques de production de logements et de lutte contre la consommation d’espaces agricoles et naturels élargissent les politiques de mobilisation du gisement foncier, y compris pour les friches industrielles. Les friches de toutes origines constituent l’opportunité du renouvellement de la ville sur elle-même. »
(1)Voir le site du Lifti : https://lifti.org (2)Datar : Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale.
Recenser les friches
Si le terme de friche désignait à l’origine une terre inculte, comme le souligne le rapport d’information de l’Assemblée nationale sur la revalorisation des friches industrielles, commerciales et administratives(3), il n’existe pas de définition juridique harmonisée des friches. Le rapport propose comme définition d’une friche : « Bien ou droit immobilier, bâti ou non bâti, inutilisé depuis plus de deux ans, dont l’état, la configuration ou l’occupation totale ou partielle ne permet pas un réemploi sans une intervention préalable. » Concrètement, les collectivités sont confrontées à la présence sur leur territoire de friches de toute nature et de toute taille : stations-services à l’abandon, locaux militaires désaffectés, immeubles de bureaux inoccupés, logements, ateliers et usines désertés… Et ce, partout en France, le milieu rural comptant aussi son lot de locaux et de terrains inutilisés.
Ces problèmes de définition juridique font que le recensement des friches n’est pas du tout complet et restera complexe du fait de la grande hétérogénéité des situations. Les acteurs du foncier, élus, urbanistes, aménageurs, promoteurs, notaires, peuvent néanmoins s’appuyer sur deux bases de données, accessibles sur la plateforme publique Géorisques : Basias et Basol(4).
Basias, inventaire historique de sites industriels et activités de service, est produit depuis 1998 par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Basias recense tous les sites industriels abandonnés ou pas, susceptibles d’engendrer une pollution de l’environnement. L’inventaire conserve la mémoire de ces sites, à destination des acteurs de l’urbanisme, du foncier et de la protection de l’environnement, sur la base des archives historiques, de visites de sites et de cartographie. Près de 318 000 sites sont recensés, dont beaucoup ne sont plus des friches.
Basol est la base de données sur les sites et sols pollués, ou potentiellement pollués, qui appellent une action des pouvoirs publics, à titre préventif ou curatif. Cet inventaire des sites pollués connus est conduit depuis 1994. Basol compte un peu plus de 7 300 sites, dont certains sont encore en activité, donc pas en état de friche. Depuis 2014, la loi Alur(5) impose aux préfets de département d’élaborer des Secteurs d’information sur les sols (SIS) regroupant toutes les informations dont dispose l’État sur la pollution des sols, hors zones déjà couvertes par d’autres dispositions. En cas de changement d’usage, la réalisation d’études de sols et la mise en place de mesure de gestion de la pollution sont indispensables.
L’enrichissement de la connaissance des friches passe aussi par la démarche participative et itérative. Lancée en 2020, la start-up d’État UrbanVitaliz(6) vise à accompagner les collectivités et porteurs de projet en zones détendues, souvent démunis face à la complexité des problèmes. Le Cerema développe par ailleurs Cartofriches(7), un outil numérique public d’aide au recensement national des friches de toutes natures. L’idée est de s’appuyer sur les connaissances locales en complément des bases de données institutionnelles.
Un projet de revitalisation d’une friche industrielle comprend schématiquement six étapes : intention programmatique, maîtrise foncière, déconstruction, dépollution, aménagement, promotion. On comprend aisément que le processus complet puisse prendre de nombreuses années, mais les friches ne sont pas toutes industrielles ou polluées.
Stéphane QUADRIO, directeur de l’aménagement de l’Epase, Établissement public d’aménagement de Saint-Étienne (Loire), explique la démarche. « Saint-Étienne était la cinquième ville de France en 1970. Mais entre 1973 et 2013, elle a perdu 50 000 habitants. La crise industrielle et économique a conduit à une crise urbaine. Grâce aux politiques publiques de transition de la mono-industrie vers un tissu de PME et PMI, l’emploi salarié s’est stabilisé mais la ville-centre continue à perdre des habitants dans une métropole qui n’en perd plus. L’Epase a été créé en 2007 par l’État (50 %), la ville (20 %), la métropole, le département et la région pour contrebalancer le déplacement de la population vers la première et la deuxième couronne stéphanoise. Dans une dynamique concurrentielle, il faut des terrains pour accueillir emplois et habitants et redonner une qualité urbaine pour les professionnels et les habitants. Refaire la ville sur la ville, dans le périmètre existant, et lutter contre l’étalement urbain, implique de traiter les fonciers obsolètes, industriels et autres, de se donner les moyens de recycler ces fonciers pour de nouveaux programmes de construction. Pour les friches, deux approches sont possibles. Soit les bâtiments ont des qualités intrinsèques intéressantes, et ils sont à conserver et à transcender. Par exemple, l’ancienne Manufacture d’armes, passoire thermique polluée, est devenue la Cité du Design, avec même une école : beau symbole ! Si les constructions n’ont pas d’intérêt, comme l’équarrissage du quartier Pont-de-l’Ane-Monthieu en entrée de ville, il faut remembrer plusieurs dizaines de parcelles, déconstruire, dépolluer, viabiliser pour revendre avec un cahier des charges à un opérateur privé pour un nouveau programme. Une friche n’a pas forcément vocation à être reconstruite. Par exemple, un ancien cinéma, impropre à de nouvelles activités, trouvera une nouvelle fonction en jardin public. La première étape est la projection d’un nouveau futur, le projet urbain. La seconde étape, la maîtrise foncière par un établissement public foncier ou d’aménagement, qui peut avoir une délégation du droit de préemption de la ville. La très grande majorité des transferts se fait par acquisition amiable, le plus possible pour éviter le délai de la Dup, la Déclaration d’utilité publique, qui implique enquête publique, expropriation et recours potentiel. Le projet d’aménagement suit une démarche circulaire, itérative, il s’incrémente des connaissances acquises pas à pas sur le site. L’intention programmatique, par exemple créer un quartier d’affaires, un pôle créatif ou commercial, allie d’abord l’intuition et des études de planification générale. Puis progressent en parallèle les investigations techniques, pollution, amiante, géotechniques, risque minier…, les études de marché, les tests de capacité, le montage du bilan prévisionnel et le nouveau design urbain. Cela permet de chiffrer le déficit prévisionnel. Au niveau de l’Epase, c’est le conseil d’administration qui affecte une quote-part de la dotation du contrat de plan État-région à l’opération. S’ensuit la démolition éventuelle puis la dépollution, puis les travaux d’aménagement des espaces publics. En temps masqué débute la recherche des opérateurs qui vont construire les nouvelles vocations du site. »
La contrainte pollution
Parfois inexistante, parfois suffisamment grave pour exiger une mise en sécurité sanitaire par l’État, la pollution est la première difficulté qui renchérit le coût d’une réhabilitation de friche. Renaud BLAISON, chargé d’affaires d’Epora, apporte son retour de 20 ans d’expérience. « Les vieux sites présentent des pollutions parfois plus que centenaires. Les études historiques, les prélèvements, les analyses de laboratoire montrent que les familles de polluants sont à peu près toujours les mêmes, avec des concentrations qui diminuent pour les périodes plus récentes, aux techniques de prévention plus développées. Les sols pollués entre fin 19e et fin 1960 sont surtout pollués aux hydrocarbures et leurs dérivés comme les solvants chlorés, et aux métaux lourds. » Par ailleurs, l’interdiction totale de l’amiante ne date que de 1997(8). Didier MARGOT, chef de projet Sites et sols pollués à l’Ademe, apporte l’expertise de l’Agence aux collectivités. Il insiste sur la nécessité de prendre le temps des questionnements pour l’adaptation de l’intention initiale des élus à la pollution diagnostiquée. « Le diagnostic initial des pollutions s’appuie sur l’inventaire des activités préalables avec Basias, sur les sondages de sol. Quels sont les polluants du sol, de l’eau, des végétaux, des bâtiments ? Gazeux, liquides, solides ? Y a-t-il transfert de pollution au-delà du site ? Le plan de gestion de la pollution situe tel polluant à tel endroit, à telle profondeur, étudie les scenarii de traitement, leur durée, leur coût… Il nourrit la phase de conception et peut amener la révision de l’intention programmatique. S’affranchir de ces questionnements peut conduire à des gâchis financiers, comme dans ce bâtiment neuf rendu inutilisable par des gaz qui avaient pourtant été décelés, mais volontairement ignorés. »
Le niveau de difficultés techniques et financières liées aux traitements des pollutions peut être calibré par une adaptation du projet aux risques diagnostiqués. En effet, en fonction de l’usage projeté, le niveau d’abaissement de la pollution exigible par la réglementation n’est pas le même : pour un parc photovoltaïque au sol, le traitement de la pollution doit aboutir au non-risque environnemental, alors que pour un logement s’ajoutera le non-risque pour les habitants.
Laurent CHATEAU, chargé de mission Travaux de reconversion des friches à l’Ademe, souligne le bénéfice paradoxal des difficultés diagnostiquées. « La contrainte est un facteur de créativité, pas un constat d’échec. La démarche est itérative entre le diagnostic-plan de gestion des pollutions et le projet-budget. Si le projet n’est pas faisable, on aménage le plan de masse. Selon notre bilan technico-économique sur 100 sites, il y a en moyenne 20 % de l’emprise avec des mesures à prendre et 80 % sans besoin d’intervention. »
La méthodologie nationale 2017 de gestion des sites et sols pollués, pragmatique, recommande une réhabilitation en fonction de l’usage futur. Certaines pollutions résiduelles peuvent rester en place après s’être assuré de leur innocuité sanitaire et environnementale par une étude prouvant l’adéquation du traitement au regard des usages. Par exemple, des terres polluées par des métaux lourds, stables, pourront être laissées en place sous un parking imperméabilisé pour éviter leur lessivage.
(8)Voir l’article « Amiante : quoi de neuf ? » paru dans le n° 176 de Qualité Construction (septembre-octobre 2019).
Techniques de dépollution des sols
La dépollution des terres utilise de nombreuses techniques physiques ou biologiques, appliquées soit hors site, soit sur le site même. Quand le maître d’ouvrage ou le risque sanitaire l’exige, un terrain peut être très rapidement assaini par l’excavation des terres polluées et leur transport vers un centre de traitement ou une Installation de stockage des déchets dangereux (ISDD). Cette pratique nécessitant beaucoup de transport en poids lourds pour évacuer puis rapporter des volumes de terre, est à la fois coûteuse et fortement émettrice de GES. C’est pourquoi l’Ademe, qui finance de nombreuses opérations, privilégie le traitement des terres polluées sur place, voie qui demande parfois plus de temps (quelques mois à plusieurs années), mais avec un bien meilleur bilan environnemental. Le traitement sur le site peut être fait par excavation des terres polluées qui sont stockées en tertre équipé pour évacuer et récupérer les composés volatils par ventilation (venting), pour apporter oxygène et nutriments afin de stimuler les populations bactériennes du sol capables de dégrader les hydrocarbures (biopile), pour faire un traitement thermique ou encore pour laver les terres. Certaines pollutions pourront être traitées in situ, sans excavation, par des techniques de biodégradation, d’oxydo-réduction, de stabilisation physico-chimique, par traitement thermique ou par phytotechnologies.
Les végétaux peuvent stabiliser par leurs racines des terres en pente et éviter la dissémination en fixant le sol et les polluants. Certaines plantes peuvent absorber des polluants du sol par leurs racines et les stocker dans leurs parties aériennes. Mais la biomasse aérienne produite doit ensuite être récoltée pour retirer de la friche les polluants extraits. Troisième phytotechnologie, la phytoremédiation consiste à dégrader les polluants organiques en composés plus simples et moins toxiques par l’action des enzymes des racines ou des micro-organismes hébergés dans le réseau racinaire. Laurent CHATEAU précise que « le phytomanagement vient en complément après un autre traitement. C’est peu utilisé et surtout au stade recherche ».
Enfin, pour des terres polluées aux métaux lourds impossibles à extraire, comme le plomb ou l’arsenic, le confinement à l’abri du lessivage, in situ ou après excavation, permettra leur stockage ou leur utilisation pour un modelé paysager ou un merlon phonique par exemple. Une servitude d’utilité publique pourra alors apporter des restrictions d’usage de la zone.
Techniques constructives anti-pollution
Pour gérer des pollutions résiduelles véhiculées par des gaz, des eaux ou des sols contaminés et mettre en sécurité les usagers des bâtiments, un panel de mesures constructives existent. Elles sont décrites sur le site SelecDEPOL(9) créé par l’Ademe et le BRGM. Leur principe général consiste à éviter tout contact des usagers ou des plantes comestibles avec les polluants. Étanchéifier les parties enterrées des bâtiments empêche les entrées d’eaux ou de gaz contaminés. L’évacuation de ces derniers des vides sanitaires et des sous-sols peut être obtenue par des systèmes de ventilation ou de dépressurisation sous dalle.
(9) Le site SelecDEPOL permet la pré-sélection des techniques de dépollution et des mesures constructives : www.selecdepol.fr.
Les difficultés juridiques
Le principe de responsabilité du « pollueur-payeur », pilier de la politique environnementale européenne et nationale, se heurte dans le cas des friches à plusieurs écueils. La législation sur les Installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) confère la responsabilité de la dépollution du site au dernier exploitant. Hors ICPE, c’est la responsabilité du producteur ou du détenteur de déchets qui est recherchée. Mais plusieurs obstacles peuvent bloquer toute évolution des friches. Dans le cas de liquidation d’entreprises, l’obligation de remise en état ne peut plus s’exercer. Ou, dans le cadre d’une ICPE, seule la remise en état des terrains pour permettre un usage équivalent à l’activité précédente est obligatoire : insuffisant pour passer d’un usage industriel à un usage tertiaire par exemple.
Les propriétaires sont aussi poussés à l’inaction par le différentiel entre la valeur du foncier et le coût de la dépollution de la friche, souvent bien supérieur. C’est pourquoi la loi Alur a créé en 2014 le dispositif du « tiers demandeur » qui permet à un tiers, en général un aménageur, de se substituer à l’ancien exploitant pour réaliser la remise en état du site en vue de son usage futur déjà envisagé. Ludovic RIOU, chargé de mission Projet urbain de la ville de Saint-Étienne, cite en exemple la remise en état sanitaire du site du Pont-de-l’Ane-Monthieu où le financement de la remise en état de l’ancien équarrissage, en vue de la construction du pôle commercial Steel, a été partagé entre l’ancien exploitant et l’aménageur, l’Epase, en application de ce dispositif. L’équarrisseur n’était soumis qu’à une obligation de remise en état pour une activité industrielle, insuffisante pour le projet urbain. Dans le cas d’une ICPE polluée créant un risque sanitaire ou environnemental avec un responsable défaillant, l’État confie à l’Ademe la mission de mise en sécurité du site.
Coûts et aides
Le recyclage foncier coûte beaucoup d’argent. Il commence par une destruction de valeur, d’activités parfois encore persistantes sur une partie du site. Les coûts sont générés par l’acquisition du foncier, les études, les travaux de démolition, désamiantage et dépollution, les travaux d’aménagement et de construction. Les temps d’acquisition d’un foncier morcelé, de portage foncier et de réalisation, plus longs que dans le cas d’une opération d’extension par artificialisation, grèvent le bilan. Mais, avantage des friches, la voirie et les réseaux sont en général déjà existants. Une dépollution de friche industrielle a un ordre de grandeur de coût de quelques centaines de milliers à un million d’euros à l’hectare, voire plus. Au final, particulièrement en zone peu tendue, l’objectif de programmation budgétaire n’est pas d’équilibrer l’opération par la vente du terrain requalifié, mais de maîtriser le déficit d’opération. Faute de pouvoir vendre le terrain réhabilité plus cher que le prix du marché local, les aides publiques deviennent indispensables pour absorber le déficit.
L’Union européenne apporte son concours aux projets économiques de recyclage des friches, via le Feder. Le ministère de la Transition écologique soutient la réhabilitation des friches de toutes natures et pour tous usages via l’Ademe, opérateur principal dans le soutien financier et l’accompagnement des acteurs locaux. Laurent CHATEAU précise le mécanisme d’aide. « Depuis 2010, l’Ademe lance chaque année un appel à projet. L’Agence accompagne les porteurs de projet vers des techniques plus sobres, avec un taux de subvention des travaux entre 35 % et 55 %. Le Plan de relance national s’est décliné en un Fonds friches doté de 300 M€, dont 40 M€ seront distribués par l’Ademe en deux ans pour reconversion de friches polluées ICPE ou minières, au lieu des 4 M€ annuels en année moyenne. C’est une mise en visibilité importante de l’opportunité des friches, en parallèle de la lutte contre l’artificialisation. » Didier MARGOT complète : « L’Ademe accompagne également les collectivités pour les études de diagnostic et la conception du projet de reconversion. Le plafond de l’assiette est de 50 000 euros pour le diagnostic et de 100 000 euros pour l’étude de projet, avec des taux de subventions variant entre 50 % pour les grandes entreprises et 70 % pour des projets non-économiques et les petites entreprises(10). »
L’Ademe a mis également en ligne l’outil Bénéfriches(11), qui permet de quantifier les bénéfices nets socio-économiques et environnementaux d’un projet d’aménagement, pour aider les collectivités à évaluer leurs choix entre renouvellement urbain sur friches ou extension urbaine sur terres agricoles. L’Agence poursuit également un effort de recherche et de développement en matière de techniques de remédiation et de dépollution des sols. Le Fonds friches de 300 M€ affecte 1 M€ au développement d’outils de connaissance du foncier par le Cerema et 259 M€ répartis aux régions pour le recyclage foncier pour des projets d’aménagement urbain ou de requalification à vocation productive.
Renaturation, biodiversité et énergies renouvelables
La mission d’information de l’Assemblée nationale souligne l’irréversibilité de l’artificialisation des terres « à des échelles de temps humaines » et insiste sur l’importance de réhabiliter les friches pour éviter la destruction des sols naturels. Notamment, l’irréversibilité de la pollution des terres empêche de reperméabiliser leur surface pour éviter la migration des polluants. Néanmoins, il peut y avoir sur des friches de grande surface des secteurs sans pollution qui peuvent être reconverties vers un usage agricole. De plus, les terres polluées peuvent être déplacées, regroupées, pour repenser le cycle de l’eau grâce à des surfaces en pleine terre ou recouvertes de matériaux partiellement perméables. Un autre grand intérêt de revégétaliser les surfaces en zone urbaine est de créer des îlots de fraîcheur. Les rapporteurs « concluent à la nécessité d’accorder une place à la renaturation dans tous les projets de réhabilitation et d’étudier systématiquement les façons d’incorporer davantage de végétal lors de la reconversion des friches vers du bâti résidentiel ou commercial. La renaturation peut également être considérée comme une solution principale pour des friches situées en zones détendues, où il n’y a pas besoin de foncier supplémentaire. » La renaturation à vocation de loisirs peut aussi devenir une solution quand d’autres usages sont peu envisageables. La renaturation permet enfin de conforter la biodiversité en ville, en inscrivant les projets dans les trames verte et bleue de continuité écologique. Marc KASZYNSKI considère « qu’au moins la moitié du gisement des friches peut trouver une vocation environnementale, avec le volet de la biodiversité et le volet des énergies renouvelables. Pour les friches hors marché, personne ne vient disputer leur usage. »
Ces objectifs vertueux sont néanmoins confrontés au modèle économique du projet, ce qui renvoie à des choix de politique urbaine. Le financement de la renaturation peut être aussi envisagé comme mesure compensatoire en faveur de la biodiversité, quand un maître d’ouvrage aménage une autre parcelle avec des incidences négatives sur la biodiversité qui ne peuvent être ni réduites, ni évitées. La compensation prescrite par l’autorité environnementale peut alors s’effectuer par une renaturation de friche. L’implantation sur des friches industrielles de parcs photovoltaïques au sol est une solution encouragée par les pouvoirs publics, qui peut être une opportunité pour des friches de grande surface qui ne trouvent pas preneur pour d’autres usages.
Réhabiliter des friches est donc un défi ambitieux pour les élus, les acteurs du foncier et les porteurs de projet. Comme le dit Stéphane QUADRIO, « avec les friches, faire de l’urbanisme devient passionnant ! ». 📒